Pour son premier ouvrage de fiction, la comédienne et écrivaine de talent Sylvie Drapeau a imaginé l’histoire de deux enfants, des jumeaux, fille et garçon. Claire et Raymond vivent dans une maison bancale au bord d’un précipice donnant sur une usine d’aluminium, naviguant comme ils le peuvent entre une mère sans défense, sans moyens, et un père pourvoyeur violent et terrifiant.
L’auteure, avec un texte d’une grande profondeur et d’une grande sensibilité, s’est questionnée sur l’impact de la violence conjugale dans une famille.
Claire et Raymond sont de jeunes héros fragiles et bouleversants, qui ont la chance « d’être deux » et de trouver des jeux et de s’appuyer sur leur instinct de survie pour traverser des moments très difficiles.
« C’est ma première fiction », confirme Sylvie Drapeau, en entrevue. Elle portait cette histoire en elle depuis qu’elle était toute petite fille.
« Une fois, j’avais été invitée chez une petite fille, à dîner. Ce n’était pas une petite fille que je connaissais. Quand on était revenues dans la cour d’école, après dîner, d’autres filles jouaient à la corde à danser et avaient dit : tu es allée manger chez une femme battue. C’est dégueulasse, les femmes battues. »
Même si elle était très jeune, Sylvie Drapeau a été profondément marquée par ces commentaires.
« Je trouvais ça incongru. Aussi jeune que j’étais, j’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose qui ne marchait pas dans cette formulation, dans ce mépris affiché. Pourquoi ce n’était pas chez ark, un homme qui bat ? Non, c’était ark, une femme battue. Comme si c’était elle, le problème. »
« Quand on est enfant, on est éponge. Il y a plein d’affaires qu’on ne comprend pas, mais pourtant, on sent beaucoup de choses. Et quand ça n’a pas d’allure, on le sent, mais on ne sait pas l’exprimer. J’arrive à 60 ans et je veux l’exprimer. »
Dans le livre, elle appelle ce sentiment « le monde à l’envers ». « C’est le sentiment de vivre dans un monde qui va tout croche, qui fonctionne à l’envers du bon sens. »
Par les yeux de l’enfance
Son roman parle bien sûr de la violence conjugale, à travers les yeux de l’enfance, ajoute-t-elle.
« C’est pas la femme qui subit la violence qui parle : c’est une enfant. Je l’ai imaginée, jeune femme, qui écrivait ce texte. »
« Ça aurait pu s’appeler Journal de Claire, parce qu’elle raconte, dans son journal, ses années d’enfance avec son frère Raymond. Elle a pu écrire cela au début de la vingtaine. Je l’imaginais à l’université, assise à la bibliothèque ou assise à sa table de cuisine, en train d’écrire comment, enfant, elle voyait la situation de sa mère qui se faisait battre, de cette violence au quotidien. »
« La violence est partout »
Sylvie Drapeau a été bouleversée en écrivant cette histoire, entamée juste avant la pandémie.
« Je n’ai pas vécu ça. Mais d’un autre côté, la violence est partout. Bien sûr que j’ai lu un vrai rapport sur la violence conjugale et que j’ai fait ma recherche. Mais la violence, elle est partout, et toute fille, on a vécu des violences. »
« On a juste à écouter nos amies de fille, nos tantes, nos cousines, nos mères, nos grands-mères. On a juste à écouter les femmes et c’est le festival du témoignage. Et c’est commun à nous toutes. C’est pas pour rien que j’ai voulu faire parler une petite fille : cette petite fille va devenir une femme. Elle se demande comment elle va faire pour devenir une femme. »
- Sylvie Drapeau est comédienne.
- Elle a joué dans de nombreuses productions théâtrales ainsi qu’au cinéma et à la télévision.
- Sa tétralogie Fleuve a fait d’elle une écrivaine à part entière.
- Elle travaille sur un projet intitulé Rome aux côtés de Brigitte Haentjens, avec cinq grands textes de Shakespeare, qui sera présenté au printemps 2023.
EXTRAIT
« Aussitôt que notre père s’était hissé dans la cuisine où l’attendait sa première bière, que maman avait eu le soin de déposer sur la table après l’avoir décapsulée, nous devions disparaître de son champ de vision. Notre père ne supportait pas les traîneries, et ça incluait notre présence. Hors de question que nous restions à l’intérieur. Dans un monde idéal, maman aurait dû sortir aussi, mais qui aurait préparé le souper ? Elle devait donc rester, c’était obligé, tout en se faisant oublier. »