Par Pierre Noël, 33e, CBCS
En 1804, les hauts-grades du REAA furent (ré)introduits en France par des FFø revenant des Etats-Unis où le 1er Suprême Conseil des Grands-Inspecteurs-Généraux avait été créé, peu de temps auparavant, en Caroline du Sud. Cet organisme n’avait pas prévu de grades bleus spécifiques et ne connaissait que les rituels typiquement anglo-saxons, codifiés par Thomas Smith Webb et régis par les Grandes Loges locales.
De retour à Paris, les ex-émigrés trouvèrent une situation confuse, marquée par les luttes intestines qui opposaient le Grand-Orient de France et les loges dites « Ecossaises » parce qu’elles pratiquaient des hauts-grades non reconnus par celui-ci. Le soutien inconditionnel des « Ecossais » permit aux nouveaux arrivés d’établir une Grande Loge centrale Ecossaise et un Suprême Conseil indépendants du GODF. Allant plus loin que leurs inspirateurs américains, ils ne se contentèrent pas de conférer les hauts-grades du Rite mais rédigèrent également des cahiers des grades bleus, qu’ils présentèrent comme seuls authentiques car « anciens ». Ainsi naquirent les premières versions des grades bleus, dits de REAA, qui furent pratiqués dans les loges rebelles au GODF. Très naturellement, les rédacteurs pillèrent leurs prédécesseurs et accouchèrent de rituels syncrétiques, mêlant éléments de la maçonnerie française classique, de celle dite de « Rite Ecossais » et surtout d’apports anglo-saxons de style « ancien ». Le REAA bleu d’origine fut donc un conglomérat difficilement jouable d’influences diverses et parfois contradictoires. Le ralliement ultérieur de ces loges au GODF ne changea rien à l’affaire jusqu’à la fin du premier Empire.
La Restauration vit, avec l’indépendance du Suprême Conseil, une refonte de ces rituels, visant à les rendre plus en accord avec le goût du temps. L’apport britannique fut minimisé, l’exemple du Rite Français amena des emprunts significatifs, la légende d’Hiram fut relue dans une optique naturaliste qui occulta sa signification première. Le positivisme à la mode amena également des développements inattendus qui ne pouvaient qu’altérer profondément les textes d’origine. A la fin du XIX° siècle, les rituels en usage au Suprême Conseil ne différaient en réalité de ceux en usage au GODF que par le maintien de l’invocation du Grand Architecte de l’Univers, abandonné au Rite Français dans les suites de la décision de 1877.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le retour à une conception plus traditionnelle de la maçonnerie vit une réécriture de ces rituels, sans cependant que les influences du XIX° siècle disparaissent tout à fait. De nouveaux emprunts, à la maçonnerie britannique et hollandaise, ainsi qu’au compagnonnage, conduisirent aux rituels aujourd’hui en usage à la GLNF et à la GLDF.
Les rituels actuels, dit de REAA, se ressentent de ces emprunts successifs qui, le point est essentiel, ne doivent rien aux hauts-grades du même Rite et diffèrent considérablement de leur mouture d’origine. Ce constat soulève deux questions difficiles :
Existe-t-il une spécificité, voire une cohérence, qui lie les grades bleus et les hauts-grades de même nom ?
Quel est le véritable REAA, pour les grades bleus s’entend ?
Introduction
Le Rite Ecossais Ancien et Accepté (REAA) est le Rite maçonnique le plus pratiqué dans le monde. Qu’on l’appelle « Ancient and Accepted Rite » dans les Iles Britanniques ou « Scottish Rite » aux Etats-Unis, il est d’abord un système de 30 hauts-grades, dont la plupart ne sont, le plus souvent, conférés que par communication. Or si on parle rarement des grades bleus de ce Rite, inconnus dans les pays de langue anglaise, ils sont pratiqués en Europe continentale (France, Belgique, Italie, Suisse…) et en Amérique latine. Ce qui n’empêche les bons auteurs, Lantoine, Clément, Naudon, Palou, de rester étrangement muets sur le sujet.
Ce silence ne laisse pas de surprendre. Car de deux choses l’une, ou le Rite possède des grades bleus qui lui soient propres ou il n’en possède pas ! La question n’est pas futile puisque les tenants du système n’arrêtent de répéter que le REAA est un, du 1er au 33ème degré, et, corollaire obligé, que les Grands Inspecteurs Généraux, 33ème et dernier degré du Rite, exercent leur autorité « dogmatique »
L’organisation de l’échelle des trente hauts-grades fut un processus long et compliqué dont on commence à déceler le processus, grâce aux travaux essentiels de Jackson, d’Alain Bernheim et d’autres dont l’école américaine, celle notamment de la revue « Heredom », publication du Suprême Conseil de la juridiction sud des Etats-Unis, qui complètent heureusement les écrits fragmentaires des auteurs cités plus haut.
Mais ces travaux ne traitent guère des grades bleus du Rite. Leur contenu n’est que rarement évoqué et le curieux, soucieux de savoir en quoi ces degrés du REAA diffèrent (ou différaient) significativement des autres rituels, serait en bien en peine de trouver une réponse à ses interrogations.
La genèse de ces hauts-grades sort de mon propos. Qu’il suffise de rappeler que les grades actuellement intégrés à l’échelle du Rite furent élaborés en France entre 1740 et 1760 et dans les possession françaises d’Amérique, Saint-Domingue surtout, au cours de la décennie suivante. Au début du XIX° siècle, ils furent organisés, à Charleston, en un système de 33 grades dont les deux derniers seulement étaient inconnus en France. Le premier « Suprême Conseil des Très Puissants Souverains Grands Inspecteurs Généraux du 33ème degré» fut constitué le 31 mai 1801. Initialement composé de deux membres seulement, John Mitchell
Le 21 février 1802, ce même Suprême Conseil remit au comte de Grasse-Tilly
Universi Terrarum Orbis Architecturis Gloria ab Ingentis.
Deus meumque Jus. Ordo ab Caho.
De l’Orient du Suprême Conseil des Très-Puissans Souverains Gr. Insp. Gén., sous la voûte céleste du Zénith, qui répond au 32° degré 45 m. latit. Nord.
A Nos T.Ill.T. Vaill. et Sbl. Princes du Royal-Secret, Ch. de K.H. Illustres Princes et Chevaliers Grands Ineffables et Sublimes, libres et acceptés maçons de tous grades, anciens et modernes, sur la surface des deux hémisphères : A tous ceux qui ces présentes lettres verront,
SANTE. PROSPERITE. POUVOIR
Faisons savoir que Nous soussignés Sou. Grands Inspecteurs généraux, duement et légalement constitués et établis en Suprême Conseil ; avons examiné scrupuleusement notre Ill. Frère Comte Alexandre-François-Auguste De Grasse-Tilly, dans les divers grades qu’il a légalement reçus ; et à sa requête spéciale, nous certifions, reconnoissons et proclamons notre T.Ill.F. Alexandre-François-Auguste De Grasse-Tilly, de Versailles en France, ancien capitaine de cavalerie, et ingénieur au service des Etats-Unis d’Amérique ; M° et passe-M° des Loges symboliques ; M° Secret, M° Parfait ; Secrét. Intime ; Prévôt et Juge ; Intendant des Bätimens ; M° Elu des 9, Ill. Elu des 15 ; Subl. Ch. Elu ; Grand Maître Architecte Royal-Arche ; Gr. Elu, Parfait et Subl. Maçon.
Attestons aussi qu’il est Chev. d’Orient ou de l’épée, Prince de Jérusalem, Chev. d’Occident, Chev. de l’Aigle, et Souv. Prince Rose-Croix d’Hérédom, Grand Pontife, Maître ad vitam, patriarche, Noachite, Chev. Prussien, Prince du Liban, Grand M. Ecossais, Chev de St-André, etc.etc.etc. ; Chef du Tabernacle, Prince de Mercy, Chev. du Serpent d’airain, Commandeur du Temple, Souv. Chev. du Soleil, Prince adepte, H.K., Chev . de l’Aigle blanc et noir, et Souv. Grand Inspecteur Général et membre du Suprême Conseil du 33° degré.
Certifions aussi que notre susdit T. Ill. F. est Grand Commandeur à vie du Suprême Conseil des Isles françaises de l’Amérique.
Autorisons et donnons pouvoir à notredit F. A.F.A. De Grasse-Tilly, de constituer, établir et inspecter toutes les Loges, Chapitres, Conseils et Consistoires de l’Ordre royal et militaire de l’ancienne et moderne Franche-Maçonnerie sur les deux hémisphères, conformément aux grandes Constitutions.
Nous, en conséquence, commandons à tous nos sudits Pr. Chev. et Sublimes Maçons, de recevoir notre Ill. F. Alexandre-François-Auguste De Grasse-Tilly, dans toutes ses diverses qualités, jusqu’au plus haut degré de la Maçonnerie ; promettant d’avoir les mêmes égards pour ceux qui se présenteroient à notre Subl. Cons, munis de certificats, ou lettres de créance aussi authentiques.
Auxquelles lettres de créance, Nous Souverains Grands Inspecteurs Généraux, membres du Suprême Conseil du 33° degré, à Charles-Town, Caroline du Sud ; avons ici-bas souscrit nos noms, et fixé le grand sceau dudit Ill. Ordre dans la Chambre du Grand Conseil, près du B.A., sous la voûte céleste, ce 9° jour du 12° mois de la Restauration 5562, anno Lucis 1802, et de l’ère chrétienne le 21° jour de février 1802.
Signé FR. Dalchs, H.K.P.D.R.S.
S.G.I. 33°J.B. Borven
Thomas Bartholomew Bowen (1742-1805), Membre du Suprême Conseil avant ou le 5 juillet 1801. , K.H.P.R.S.S.G.I.G. 33° deg., Master of CeremoniesJ.B. Dieben
Israel De Lieben (1740-1807), un des quatre Juifs qui furent membres du premier Suprême Conseil. Il y fut admis entre le 5 juillet 1801 et le 10 janvier 1802. , K.H.P.R.S. et G.J. 33°, and Grand -Treasurer of the Holy Empire .Abraham-Alexander
Abraham Alexander (1743-1816), Juif comme le précédent. Membre du Suprême Conseil avant ou le 15 juin 1801. , P.R.S.S.G.I.G. 33°, and Grand-Secretary of the Holy EmpireJ.B.M. De La Hogue
Jean Baptiste Marie Delahogue (1744-1822 ), né à Paris, beau-père de Grasse-Tilly. , P.D.R.S.S.G.I.G. 33°, Lieutenant-Grand-Comm. pour les Isles françaises au vent et sous-le-vent.In Extrait des Colonnes gravées dans le Souvø Chapø Ecossø du Rit ancien et accepté du Père de Famille, vallée d’Angers, 1812 : 30-35.
Les grades énumérés dans cette patente, à l’exception du Grand Inspecteur Général, étaient ou avaient été pratiqués en France au siècle précédent. Lorsque Grasse-Tilly arriva en France, deux années plus tard, il ne fit que ramener dans leur pays d’origine des grades qui étaient toujours conférés régulièrement dans les chapitres dépendant du Grand-Orient de France (GODF).
Mais cette patente conférait aussi à Grasse-Tilly le droit « de constituer, établir et inspecter toutes les Loges, Chapitres, Conseils et Consistoires de l’Ordre royal et militaire de l’ancienne et moderne Franche-Maçonnerie sur les deux hémisphères, conformément aux grandes Constitutions », donc le pouvoir exorbitant de créer des loges partout, même dans un pays où la maçonnerie était solidement implantée, ce qui était le cas de la France. Soulignons un point essentiel : la patente ne parle pas du Rite Ecossais Ancien et Accepté mais bien de « l’ancienne et moderne Franche-Maçonnerie », incluant les deux rites ! On ne peut s’empêcher de souligner le peu de constance des neuf gentlemen de Charleston. En février, ils donnaient à Grasse-Tilly l’autorité de créer des loges bleues alors que leur circulaire de décembre annonçait qu’ils laissaient aux Grandes Loges existantes le soin de conférer les grades bleus.
1. L’état de l’Ordre maçonnique en France en 1804
En France, où rien n’est jamais simple, la situation de la maçonnerie, à l’aube du XIX° siècle, était particulièrement complexe.
Après la mort du comte de Clermont (16 juin 1771), cinquième Grand Maître de la « Grande Loge de Paris, ditte de France », un schisme divisa la franc-maçonnerie française.
Le Grand-Orient de France avait été fondé en 1773 par une assemblée de députés des loges de Paris et des provinces réunis en « Grande Loge Nationale » sous la direction énergique du duc de Montmorency-Luxembourg. Après l’adoption, le 26 juin de cette année-là, de nouveaux statuts qui prévoyaient, entre autres, l’amovibilité des maîtres de loge, le duc de Chartres
Schisme donc, lequel dura jusqu’en 1799, sans cependant que diffèrent les rituels et les grades pratiqués. Cette maçonnerie-là était bien « française », c’est à dire « moderne », dans la droite ligne de l’héritage britannique quoique accommodée à l’imagination latine, et ce depuis les premières divulgations parisiennes. Prenons garde d’y voir l’équivalent du schisme anglais, anciens contre modernes, qui faisait rage de l’autre côté de la Manche, moins encore de cette fracture toujours béante qui sépare aujourd’hui maçonneries « libérale » et, si l’on veut, « dogmatique ». La différence était surtout sociologique : la Grande Loge était parisienne, roturière et bourgeoise, le Grand-Orient national, aristocratique et de bon ton, dans ses cercles dirigeants tout au moins.
Les deux obédiences firent preuve d’un grand libéralisme en matière de rituels, qu’ils fussent pratiqués dans les loges bleues ou les chapitres. Le Grand-Orient passa un traité d’alliance avec les directoires du Rite Ecossais Rectifié en 1776, leur laissant le contrôle de leurs loges
Le Grand-Orient n’en constitua pas moins, le 18 janvier 1782
L’avant-propos du rituel de 1786 souligne la volonté de la chambre des grades de codifier une ensemble rituel unique à l’usage des loges de l’obédience :
Un autre point non moins important est l’uniformité depuis longtemps désirée, dans la manière de procéder à l’initiation. Animé de ces principes, le GøOø de France, s’est enfin occupé de la rédaction d’un protocole d’initiation aux trois premiers grades, ou grades symboliques. Il a cru devoir ramener la maçonnerie à ces usages anciens que quelque novateurs ont essaÿé d’altérer, et d’établir ces premières et importantes initiations dans leur authentique et respectable pureté. Les loges de sa correspondance doivent donc s’y conformer de point en point…
In Ligou, 1991 : 2-3. Phrase identiques dans l’avant-propos du « Régulateur… » de 1801, p. 4.
En outre, le Grand-Orient reconnaissait cinq « Ordres » supérieurs, gérés par un Grand Chapitre Général de France
Le Grand-Orient, soit en son Grand Chapitre soit par ses traités d’alliance avec les directoires Ecossais Rectifiés et la loge-mère du Contrat Social, se voulait donc le dépositaire et le gardien de tous les grades « Ecossais » pratiqués à Paris et en province. Le cinquième Ordre devait se réunir le premier mardi de chaque mois mais on ne sait s’il le fit jamais. Certains le croient et pensent qu’il travaillait au grade de chevalier du soleil
La révolution passa par-là, qui donna aux frères d’autres préoccupations que de maçonner à l’unisson. Après la tourmente terroriste, le Grand-Orient reprit ses travaux en 1796 sous l’impulsion d’Alexandre-Louis Roëttiers de Montaleau (1748-1808) qui refusa la succession du duc d’Orléans, lequel avait renié l’ordre dès février 1793 et fut guillotiné le 3 novembre de la même année. Devenu « Grand Vénérable », Roëttiers eut à coeur, non seulement la résurrection du Grand-Orient, mais aussi la réunion des deux grands corps maçonniques d’avant la révolution. Il y réussit par le concordat d’union, signé par des commissaires des deux obédiences le 21 mai 1799, puis sanctionné par le Grand-Orient le 23 mai et par la Grande Loge dans une assemblée extraordinaire le 9 juin
1.1 La résistance écossaise
Quelques loges « Ecossaises » ne partageaient pas ce bel enthousiasme.
La résistance s’incarna en un homme, Antoine-Firmin Abraham (1753-1818), « chevø de tous les Ordres maçonniques ». Né à Montreuil-sur-mer le 3 septembre 1753, premier commis de la marine et secrétaire de La Fidèle Union
De 1800 à 1802, il fit paraître le « Miroir de la Vérité, dédié à tous les Maçons », en quatre volumes dont le contenu est énuméré dans la bibliographie de Fesch
Abraham ne mâchait pas ses mots : sa condamnation du Rite Français était sans appel. Dans sa « Circulaire aux Maçons Ecossais » (juin 1802), il écrivait notamment :
Les hauts-grade, en France, ne ressemblent en rien à ceux reconnus dans l’Allemagne, la Russie, la Prusse, la Suède, le Danemark, les Etats-Unis d’Amérique, l’Angleterre, l’Irlande et l’Ecosses ; le Rhin et les mers sont devenus, pour les Francs-Maçons, ce que le Styx fut pour les anciens, la séparation des vivants et des morts… Je vous invite vivement à notifier au Grand-Orient de France, de concert avec les maçons Ecossais, votre ferme et inébranlable résolution de conserver, dans votre atelier, ce Rit précieux en ce qui concerne les hauts-grades » (Miroir de la Vérité, Tome III : 64-67, cité par Lantoine, II, 135).
La diatribe mérite qu’on s’y arrête. En effet, que dit-elle sinon que les hauts-grades du GODF n’étaient pas ceux pratiqués dans les pays étrangers, contrairement aux hauts-grades « Ecossais »
L’Ecosse connaissait certes l’Ordre d’Hérédom de Kilwinning, implanté en France à Rouen et Paris avant la révolution, mais elle ignorait tout des innovations « Ecossaises ». Les pays germaniques avaient vu l’essor des Ordres templiers issus de la Stricte Observance, revus par Eckleff en Suède, Zinnendorf en Prusse et Willermoz à Lyon. Certains grades « Ecossais », le Rose-Croix notamment, étaient connus outre-Manche mais ils ne différaient guère de leur homologue du Grand-Orient. Bref, Abraham se trompait de cible.
La question se pose, légitime : qu’étaient ces loges « Ecossaises » sinon des loges conférant des hauts-grades ? Connaissaient-elles une forme particulière de grades bleus, c’est à dire une méthode spécifique d’amener les impétrants à la maîtrise qui les différencie des loges classiques du temps ? Certes, dans les pays de langue anglaise cohabitaient, plutôt mal, deux traditions, celle de la Grande Loge de 1717, dite des « Modernes », et celle de la Grande Loge « selon les anciennes constitutions », fondée en 1751 à Londres par des maçons irlandais. Si on peut, par analogie, parler à leur sujet de « Rite ancien » et de « Rite moderne », ce serait une faute d’extrapoler cette situation au continent. « Ecossais » et « ancien » n’étaient pas synonymes, pas plus d’ailleurs que « Français » et « moderne » ! Cela dit, l’influence « ancienne » était inexistante en France et tous les rituels continentaux du XVIII° siècle, qu’ils se disent « Ecossais » ou non, se rattachaient peu ou prou à la tradition « moderne », sans cependant la copier servilement.
1.2 Rite Moderne et Rite Ancien
Pendant plusieurs décennies, la «première» Grande Loge fondée à Londres en 1717 fit la loi en Angleterre. C’est à elle que l’on doit la tripartition des grades et l’introduction de la légende d’Hiram, véritables landmarks sans laquelle il ne peut y avoir de franc-maçonnerie. Ses rituels ne sont connus que par des divulgations, dont la plus essentielle reste le «Masonry dissected» de Samuel Prichard (1730). Lorsque la maçonnerie fut introduite en France, les premiers adeptes de ce qui devait devenir la Grande Loge de France en adoptèrent tout naturellement les usages avant de les adapter et de les développer selon leur sensibilité propre. Il en gardèrent l’essentiel, qui reste aujourd’hui la base même du Rite Français :
- Les deux surveillants sont placés à l’ouest de la loge
- Le ternaire Soleil-Lune-Vénérable sont les trois grandes lumières de la franc-maçonnerie, représentées par les trois chandeliers d’angle placés autour du tableu de la loge.
- La loge est supportée par trois colonnes (Sagesse-Force-Beauté)
- Les « mots » J … et B… sont ceux respectivement des 1er et 2ème grades
- Au 3ème grade, « l’ancien mot de maître », Jéhovah, n’est pas « perdu » mais seulement remplacé par un mot de circonstance, M… B… La clef du grade est l’expérience mystique que connaît le néophyte lorsqu’il est couché dans la tombe qui porte le nom du Très-Haut.
En 1751 fut instituée, à Londres toujours, la « Très Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons Francs et Accepté », dont les membres étaient pour la plupart d’origine irlandaise. Cette innovation vint rompre la belle unité britannique, d’autant que les Grandes Loges d’Irlande et d’Ecosse la reconnurent bientôt la jeune obédience comme seule régulière, car seule fidèle aux «anciens usages». De fait, leur bouillant Grand Secrétaire, Laurence Dermott, n’eut de cesse qu’il n’ait dénoncé les «déviations» de la première Grande Loge, leur reprochant pêle-mêle d’avoir simplifié et déchristianisé les rituels, omis les prières, inversé les mots sacrés des premier et deuxième grades, abandonné la cérémonie «secrète» d’installation d’un vénérable et, surtout, rejeté le grade de Royal Arch. Sans trop de vergogne, il qualifia de «Modern» les tenants de la plus ancienne Grande Loge, ce qui permit de nommer «Antient», ou Ancienne, sa toute récente obédience.
En 1760, une autre divulgation, les «Three Distinct Knocks… », révéla la teneur des rituels «anciens dont les différences essentielles
- Le premier et le second surveillants ont chacun en main une colonne de 20 pouces, qui représentent les deux colonnes du Temple de Salomon.
- Le second surveillant est placé au milieu de la colonne du midi, tandis que le premier surveillant se tient à l’ouest (ils sont en fait postés devant les portes du temple.
- Ils sont assistés par deux diacres, fonction d’origine irlandaise, l’un situé à la droite du vénérable, l’autre à la droite du premier surveillant.
- Les chandeliers, toujours associés au ternaire soleil-lune-maître de la loge mais dénommés « petites lumières « (lesser Lights ), sont placés à la droite du vénérable et des surveillants.
- La bible, l’équerre et le compas, placés sur l’autel devant le vénérable, sont appelés « Grandes Lumières de (ou plutôt « dans ») la Maçonnerie » .
- Les mots sacrés sont B… au 1er grade et J… au 2ème.
- L’ancien mot de maître est perdu par la mort d’Hiram car il faut être trois pour le prononcer (c’est la fameuse «règle de trois» déjà évoquée dans les premiers catéchismes britanniques). Salomon et le roi de Tyr ne peuvent donc plus le communiquer aux nouveaux maîtres qui doivent se contenter d’un mot de substitution.
La France, à l’époque, ne connut rien de ces développements et continua, comme par le passé, à ne pratiquer que le Rite moderne, embelli, augmenté, enrichi certes, mais fondamentalement identique à lui-même. L’écossisme que prônait Abraham n’était finalement rien d’autre, pour les grades bleus, qu’un avatar du Rite moderne de Prichard.
Rite moderne | Rite ancien | |
Disposition des colonnes | J au nord-ouest, B au sud-ouest | B au sud-ouest, J au nord-ouest |
Mots sacrés | J au 1er grade, B au 2ème grade | B au 1er grade, J au 2ème grade |
Disposition des surveillants | Tous deux à l’ouest, le 1er au sud, le 2ème au nord | Le 1er à l’ouest, le 2ème au sud |
Diacres | Non | Oui |
Grandes Lumières | Soleil, lune, maître de la loge | Bible, équerre, compas |
« Ancien » mot du maître | Substitué mais connu | Substitué car perdu (règle de trois) |
Fig. 1: Comparaison des rites moderne et ancien
1.3 L’anathème du Grand-Orient
Abraham ne manquait pas de partisans. Outre sa loge, les Elèves de Minerve
Elle l’avait pris dès 1788 et repris lors de son réveil…. Les principaux officiers du GO y étaient accueillis avec tous les honneurs consacrés par l’usage, et jamais ils n’ont témoigné la moindre peine de voir le Vivat de leurs remercîments couvert par le Houzay Ecossais. La Rø Lø, persuadée que l’humeur ou le caprice de quelques officiers du Gø Oø ne peut changer la nature et l’essence des choses ; que l’Ecossisme est le seul Rit qui ait conservé dans toute leur pureté les principes et les Statuts qui nous ont été transmis de la Montagne Sainte qui est indubitablement le berceau de notre Ordre ; que les autres Rits n’en sont que des déviations plus ou moins éloignées… a pris le parti qui lui convenoit, et qu’elle a dû prendre, celui de se procurer le droit incontestable de rester Lø Ecossaise » (Gout, 1985 : 31)
Mais cela ne nous apprend pas en quoi cette maçonnerie «Ecossaise» différait de celle du Grand-Orient. Il ne suffit pas de fulminer une anathème. Encore faut-il qu’il repose sur des faits précis. Force est de constater que nous restons sur notre faim car aucun des protagonistes de l’époque n’apporte d’éléments substantiels au débat. Constater que le Houzay remplaçait dans les loges Ecossaises le Vivat français peut paraître insuffisant et l’évocation de la montagne (imaginaire) d’Hérédom, «berceau indubitable de l’Ordre», ne peut raisonnablement être considéré comme un véritable casus belli. En-dehors de toutes considérations proprement rituelles, les différences essentielles résidaient dans le refus d’utiliser les rituels rédigés par le GODF et dans les prérogatives accordées aux détenteurs des hauts-grades Ecossais. L’usage ne datait pas d’hier et les «Règlements généraux» établis en 1743 «pour servir de règle à toutes les loges du royaume» évoquaient déjà, pour les réfuter d’ailleurs, les prétentions et prérogatives des Maîtres Ecossais. L’usage s’en était cependant largement répandu. Ce qui permit à Gout d’écrire :
Une loge Ecossaise, c’était en effet une loge bleue restée fidèle aux rituels des degrés symboliques antérieurs à l’instauration du Rite Français, une loge au sein de laquelle les Frères revêtus des hauts-grades recevaient des honneurs particuliers ; et qui, en général, croyaient observer les usages de l’ancienne maçonnerie d’Ecosse
On pourrait ajouter à cette description la conviction, déjà affirmée dans le discours du chevalier Ramsay (1686-1743) et reprise par la plupart des systèmes de hauts-grades continentaux
1.4 Le Rite Ecossais Philosophique
Les adversaires du Rite Français ne constituaient pas un corps homogène et rien ne permet d’affirmer que leurs loges pratiquaient un rituel uniforme. Il suffit d’ailleurs de constater que certains des composants de cette mouvance, l’Ordre d’Heredom de Kilwinning notamment, étaient eux-mêmes des organismes de hauts-grades, sans rituel bleu défini. Le Rite Ecossais Philosophique (REP), pratiqué par certains
D’origine avignonnaise, voire marseillaise, apparu vers 1774, ce Rite était celui de la loge parisienne de Saint Jean du Contrat Social créée en 1770 et travaillant selon les rituels d’Avignon depuis 1776
Les rituels du REP sont connus. La bibliothèque du Suprême Conseil pour la Belgique
Leur lecture montre que ces rituels ne différaient guère de ceux en usage dans les loges françaises du temps. Les « instructions » d’Avignon et du Régulateur ne diffèrent que par la présentation et l’ordre des questions-réponses (voir annexe n° 1)
J’en reprendrai les éléments principaux
- Les officiers sont disposés selon l’usage « moderne » : le vénérable à l’Orient, le 1er surveillant au Sud-Ouest devant la colonne B, le 2ème surveillant au Nord-Ouest devant la colonne J.
- Les mots sacrés sont « J… » au 1er grade, « B… » au 2ème grade et « M… »
Le mot en M est celui des « Moderns », comme dans toutes les loges françaises du temps. au 3ème grade. L’inversion des mots décidée par la Grande Loge des ModernesOn sait que c’était un des reproches que leur faisaient les « Antients » et leur bouillant Grand Secrétaire, Laurence Dermott. Cette autre Grande Loge, fondée en 1751, avait pour mots, B au 1er grade, et J au 2ème. en 1730 (ou 1739) était respectée, comme elle le sera dans toutes les loges françaises au XVIII° siècle, y compris dans les loges « écossaises ». - Les trois grandes lumières sont le soleil, la lune et le maître de la loge.
- Les mots de passe, communiqués pendant la cérémonie, sont « Tub… » au 1er grade, « Schi … » au 2ème grades et « Gib… » au 3ème grade.
- Les voyages du candidat au 1er grade sont marqués par les purifications par l’eau et le feu
Il est vraisemblable que ces purifications furent une innovation du Rite Ecossais Philosophique, adoptée ensuite par le GODF, puisqu’elles manquent dans les divulgations françaises des années 1745-1755, comme dans les rituels du marquis de Gages de 1767. . - La lettre G, dévoilée au 2ème grade, signifie « Gloire à Dieu, Grandeur au Vénø et Géométrie à tous les Maçons ». Elle désigne le Grand Architecte de l’Univers.
- Point essentiel, la version de la légende d’Hiram est celle qui était en usage en France depuis l’introduction du grade de maître : l’ancien Mot de Maître, Jehova, n’est pas perdu lors de la disparition de l’architecte. Il est seulement remplacé par un mot de substitution M…B … Ceci est un élément fondamental car le Rite des « Anciens » affirmait au contraire que seuls trois le connaissaient. La mort d’Hiram empêchait qu’il fût encore communiqué et le choix d’un mot de substitution devenait ainsi bien plus qu’une marque de prudence.
Si Rite Ecossais et Rite Français étaient foncièrement identiques, il nous faut cependant souligner une différence conséquente : la disposition des grands chandeliers autour du tapis de la loge, décrite par les « Réglements généraux de la Respectable mère Loge Saint Jean d’Ecosse de la Vertu persécutée, à l’Orient d’Avignon », datés de 1774, cités par René Désaguliers dans son article essentiel de 1983.
V
Au milieu du Temple et sur le pavé, séra tracé avec de la craïe, le tableau connu de tout Maçon. Il y aura trois grands chandelliers portant chacun un flambeau : placés, l’un au coin du tableau, entre l’Orient et le midi ; les deux autres à l’Occident, l’un entre le midi & l’Oüest, l’autre entre l’Oüest & le Nord.
R. Désaguliers, 1983, 54-55 : 96. Reproduits dans les « Règlements Généraux de la maçonnerie Ecossaise », imprimés à Paris par l’imprimerie de Nozou, rue de Cléry, n°9, 1812. (Exemplaire conservé au musée de l’armée, Bruxelles).
Or cette disposition, SE-SO-NO, qui nous paraît familière puisque c’est celle du Rite Moderne Belge, n’était pas celle des premières loges françaises. Les « tableaux » illustrant les premières divulgations
Dans les Loges regulieres & bien achalandées, ces Chandeliers hauts comme des Chandeliers d’Autel, sont communement de forme triangulaire
Les loges du GODF avaient conservé cette disposition comme le montrent les illustrations du « Régulateur du Maçon » (1801) : la loge d’apprenti y est éclairée par trois bougies portées par trois grands chandeliers triangulaires placé aux angles N.E., S.E. et S.O. Il s’agit là d’un autre exemple de la fidélité du « Rite Français » aux traditions de la Grande Loge anglaise dite des Modernes puisque cette disposition était celle des « nouvelles loges selon les instructions de Désaguliers »
La signification de ces lumières était donnée par Prichard qui, dans son « Masonry dissected » de 1730, écrivait :
Q. Have you any Lights in your Lodge ? A. Yes, Three.
Q. What do they represent ? A. Sun, Moon and Master-Mason.
N.B. These Lights are three large Candles placed on high Candlesticks (my italics).
Q. Why so ? A. Sun to rule the Day, Moon the Night, and Master-Mason his LodgeIbidem 1963 : 163. .
Les rituels français avaient fait un pas de plus en les dénommant « Grandes Lumières »
Que vîtes-vous lorsque vous fûtes reçu maçon ?
Trois Grandes Lumières disposées en équerre, l’une à l’Orient, l’autre à l’Occident et la troisième au Midi.
Que signifient ces trois Grandes Lumières ?
Le soleil, la lune et le maître de la logeLe Recueil précieux de la maçonnerie Adonhiramite, 1786 : 23. .
Si la loge anglaise était éclairée par trois lumières, elle était supportée par trois « piliers », Sagesse, Force et Beauté, représentées par le vénérable maître et les deux surveillants. Les deux Grandes Loges « Moderne » et « Ancienne » étaient, pour une fois, d’accord sur ce point. Les divulgations des années 1760 ({The Three distinct Knocks Or the Door of the most Antient Free-Masonry} […]) et de 1762 ( Jachin and Boaz or an authentic key to the door of Free-Masonry [….]) rapportaient le même dialogue :
Mas. What supports your Lodge ?
Ans. Three great Pillars.
Mas. What are their Names ?
Ans. Wisdom, Strength and Beauty.
Mas. Who doth the Pillar of Wisdom represent ?
Ans. The Master in the East.
Mas. Who doth the Pillar of Strength represent ?
Ans. The Senior Warden [in the West].
Mas. Who doth the Pillar of Beauty represent ?
Ans. The Junior Warden [in the South]Je mets entre crochets les mots « in the West » et « in the South » car ils dénotent l’usage tardif et typiquement « antient » qui avait ainsi déplacé les surveillants. Les « Moderns » les situaient tous deux à l’Occident, comme c’est toujours l’usage sur le continent dans les Rites d’ascendance « Moderne »., .
Les premières divulgations françaises allaient plus loin et affirmaient l’assimilation de ces « piliers » aux colonnes J et B du temple de Salomon (« pillar » se traduit indifféremment par colonne ou pilier, alors qu’en français, colonne désigne un support de forme circulaire, pilier désignant un support de forme quelconque). Lorsqu’il décrit le tableau de la loge, le « Nouveau Catéchisme des Francs-Maçons» (p.41) est très explicite :
Au dessous [de la fenêtre d’Orient], où ils supposent
Légende : tableau de la loge d’apprenti-compagnon du « Nouveau catéchisme des Francs-Maçons » de 1749. Remarquons l’emplacement des flambeaux-lumières marque par des macarons
Oublions la disposition variable, et parfois fantaisiste, de Sagesse, Force et Beauté. L’important est l’assimilation des « supports » de la loge aux deux colonnes J et B du temple de Salomon et leur association très forte aux deux surveillants. Le rituel de compagnon (1767) de la loge du marquis de Gages, La Vraie et Parfaite Harmonie à l’orient de Mons ne disait rien d’autre :
La colonne des apprentis porte les lettres J-F pour Jakin et Force ; la colonne des compagnons les lettres B-B pour Boaz et Beauté.
D’où le schéma suivant :
Fig. 2: Disposition de la loge française
En résumé, la loge française
- est supportée par trois colonnes, Sagesse-Force-Beauté, dont deux ne sont autres que les colonnes, J et B, du temple de Salomon, auxquelles sont associées les Surveillants, la troisième, imaginaire, l’étant au Maître de la loge ;
- elle est éclairée par trois lumières disposées en équerre aux angles de la loge : le soleil, la lune et le Maître de la loge.
Le déplacement des lumières dans la loge avignonnaise
VI
Toute assemblée de Maçons séra appellée Loge et séra présidée par un frere qu’on nommera Vénérable, et par deux autres freres qu’on appellera Surveillants qui représentent les Trois Lumieres ou les Trois Colonnes de la Loge, laquelle aura encore pour Officiers un Orateur, un Secrétaire, un trésorier, un garde des Timbres et Sceaux, deux Maîtres des Cérémonies, un Maître Ordonnateur des Banquets et deux Infirmiers et Aumoniers
In Désaguliers, 1983 : 96.. L’auteur ajoute que ces articles se retrouvent inchangés dans les « Règlements Généraux de la Mère Loge Ecossaise du Contrat Social », datés de 1780, ainsi que dans les « Règlements Généraux de la Maçonnerie Ecossaise » imprimés par la mère Loge Ecossaise de Saint Alexandre d’Ecosse en 1805. ces Règlements furent réédités par l’imprimerie de Nouzou, à Paris, en 1812. (souligné par moi).
Alors que les colonnes et les lumières constituent deux ternaires distincts dans la loge Française, ils sont ici fondus en un ensemble unique réunissant les trois officiers principaux, les chandeliers et les supports de la loge, ensemble illustré par la disposition nouvelle des chandeliers d’angle. Tout naturellement, les colonnes J et B en perdront leur fonction de support de la loge.
L’instruction du grade d’apprenti du Rite Ecossais Philosophique contient en germe l’annonce de cette fusion :
D : Qu’avez-vous vu quand on vous a donné la Lumière ?
R : Trois grandes lumières ; le Soleil, la Lune & le Vénø …
D : N’avez-vous point vu d’autres Lumières ?
R : Trois grands flambeaux qui représentent le Vénø et les Survø
Ceci permit à R. Désaguliers d’écrire en 1983 :
C’est à mon sens, cette disposition des chandeliers-colonnes autour du tapis-carré long et leur association étroite avec le Vénérable et les deux Surveillants qui fonda le « Rite Ecossais » pour les trois premiers grades
R. Désaguliers, 1983 : 97. Ecrivant sous le nom de René G., cet auteur avait déjà développé cette analyse en 1963 (Les trois colonnes Sagesse-Force-Beauté et les Trois grands Chandeliers). .
Concluons rapidement :
Dans une loge Ecossaise,
- le Vénérable Maître et les deux Surveillants sont à la fois lumières (les grands chandeliers) et colonnes (Sagesse-Force-Beauté, supports de la loge),
- les trois grands chandeliers, par un glissement sémantique bien compréhensible, deviennent donc aussi les trois piliers-supports de la loge,
- les deux colonnes J et B perdent leur signification originelle pour n’être plus que les colonnes des apprentis et des compagnons,
- le ternaire traditionnel, Soleil-Lune-Vénérable Maître, est maintenu mais son association aux chandeliers a disparu.
Fig. 3: Disposition de la loge Ecossaise
Le tout peut être résumé par une grille assez simple :
Rite Français | Rite Ecossais | |
Disposition des colonnes | J au NO, B au SO | J au NO, B au SO |
Disposition des surveillants | J au NO, B au SO | J au NO, B au SO |
Disposition des lumières (flambeaux d’angle) | NE, SE, SO | SE, SO, NO |
Acclamation | Vivat, Vivat, Vivat | Houzey, Houzey, Houzey |
Grandes lumières | Soleil, lune, maître de la loge | Soleil , lune, maître de la loge |
Fig. 4: Comparaison des rites Français et Ecossais
La seule différence significative est la fusion, au Rite Ecossais, des colonnes et des lumières, fusion induite par leur déplacement aux mêmes angles que les colonnes.
Rien dans tout cela ne justifie la condamnation d’Abraham. La maçonnerie « Ecossaise » différait peut être de la maçonnerie française classique, mais pas d’une façon aussi radicale que le prétendait le chantre de l’écossisme. Toutes deux relevaient de l’influence du « Rite Moderne » introduit en France avec l’Ordre maçonnique mais adapté aux sensibilités locales. Le point de rupture ne se trouvait pas dans les rituels des grades bleus mais bien dans le désir de conférer, comme par le passé, les hauts-grades dans les loges et le refus de l’autorité « dogmatique » du Grand-Orient. Il n’est pas exagéré, me semble-t-il, d’avancer que la résistance des loges Ecossaises fut provoquée par la volonté centralisatrice du GODF et non par l’abandon d’une certaine tradition initiatique imaginaire.
Quoiqu’il en soit l’ostracisme du Grand-Orient prépara le terreau qui permit l’éclosion, en France, d’un Rite jusque là inédit, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, car, sans l’appui inconditionnel des « Ecossais » condamnés par le Grand-Orient, les protagonistes de 1804 n’auraient pu mener leur entreprise à bien.
2. L’année 1804 et le retour des « Américains »
Depuis le 19 Brumaire de l’an VIII (10 novembre 1799), le Directoire avait fait place au Consulat présidé par Bonaparte. En mars 1802 fut signée la paix d’Amiens avec l’Angleterre, bientôt suivie d’une loi d’amnistie générale (avril 1802) qui permit le retour en France des émigrés. En août de la même année, Bonaparte, nommé Premier Consul à vie, en profita pour faire ratifier la Constitution de l’an X qui lui donnait des pouvoirs accrus, première étape vers le rétablissement d’un pouvoir monarchique.
En avril 1803, l’Angleterre exigea, pour dix ans, la cession de l’île de Malte qu’elle aurait du évacuer aux termes de la paix d’Amiens, et l’évacuation par la France de la Suisse et de la Hollande. L’ultimatum fut rejeté par le gouvernement français et la guerre recommença. Elle devait durer onze ans, jusqu’à la chute de Napoléon.
En mars 1804, en représailles à un complot royaliste, Bonaparte faisait enlever dans le duché de Bade le duc d’Enghien, petit-fils du prince de Condé. Transféré à Vincennes, le duc d’Enghien fut fusillé après un simulacre de procès (mars 1804). Enfin, le 18 mai 1804, un sénatus-consulte, connu sous le nom de Constitution de l’an XII, proclamait Bonaparte Empereur des Français. Il fut sacré en la cathédrale Notre-Dame de Paris par le pape Pie VII
C’est dans cette période riche en événements qu’apparut en France le Rite Ecossais Ancien et Accepté, ramené dans les bagages des exilés qui revenaient au pays.
Le premier fut Germain Hacquet, notaire de Saint-Domingue au solide passé maçonnique. Né à Paris en 1758, il avait appartenu aux loges Les Frères Réunis (Cap-Français), et La Réunion des coeurs franco-américains (Port-au-Prince) avant de s’affilier à L’Aménité à Philadelphie en 1797, qu’il quitta l’année suivante. Il y reçut une patente de Député Inspecteur Général du Rite de Perfection des mains de Pierre le Barbier Duplessis en 1798. De retour en France, en avril 1804, il institua les ateliers du Phenix dits Ecossais d’Héredom, une loge symbolique le 14 juin, un Conseil de Chevaliers Kadosch le 15 septembre et un Consistoire des Princes du Royal Secret les 19 et 20 du même mois. Bien accueilli par le Grand-Orient, il lui apportait le grade du Royal Secret de Morin et Francken, grade que la France n’avait jamais connu
Grasse-Tilly le suivit de peu. Le Grand Inspecteur Général et Grand Commandeur du « Suprême Conseil au 33e Grade établi aux Isles Françaises d’Amérique », avait, en mars 1802, rejoint à Saint-Domingue les forces du général Leclerc, aventure malheureuse qui se termina par la déconfiture des forces françaises, décimées par la fièvre jaune. Il fut capturé, le 30 septembre 1803, par les Anglais et emmené en captivité en Jamaïque
Libéré en 1804, de Grasse séjourna brièvement à Charleston
Dès son arrivée à Paris, de Grasse entra en rapport avec la loge Saint-Alexandre d’Ecosse, héritière du Contrat Social, qui venait de reprendre ses travaux le 22 août sous la présidence de Louvain de Pescheloche
En 1804, lors de notre arrivée en France, les Loges Ecossaises étaient frappées d’anathème par le GøOø Nous communiquâmes, à Paris, les hauts grades de l’Ecossisme à plusieurs Maçons aussi zélés que recommandables ; nous établîmes un suprême Conseil du 33e degré pour la France. Ce Conseil, réuni à celui du 33e degré pour l’Amérique, fit, le 5 décembre 1804 avec le GrøOrø, un concordat qui parut si avantageux à la Maçonnerie, que ce dernier fit frapper des médailles pour perpétuer le souvenir de son existence
In Extrait du livre d’or du Suprême Conseil. 18 août 1818 : 1-2. Cité par Gout, 1985, p.17. .
C’est de là que date l’introduction en France du Rite Ecossais Ancien et Accepté, avec ses 33 grades organisés aux Etats-Unis en un échelle inédite qu’ignoraient les « Ecossais » de France, notamment les défenseurs du Rite Ecossais Philosophique.
Outre de Grasse, plusieurs membres du Suprême Conseil d’Amérique se trouvaient à Paris, notamment Caignet, Antoine et Toutain, tous revêtus du 33e degré
- Francois-Christophe Kellermann, Maréchal de l’Empire, (duc de Valmy en 1808) (sans date connue).
- Bernard-Germain-Etienne de la Ville, comte de Lacépède , membre de l’Institut, grand chancelier de la Légion d’Honneur, sénateur (sans date connue).
- Louis-Charles Bailhache, ancien officier (8 octobre 1804)
- Jean-Baptiste Vidal, ancien propriétaire (10 octobre).
- Germain Hacquet, négociant, ancien notaire à Saint-Domingue (11 octobre?).
- Claude-Antoine Thory, ancien agent de change, banque et finances de la ville de Paris (plus tard Chevalier) (12 octobre).
- Godefroid-Maurice-Marie-Joseph, prince de La Tour d’Auvergne, colonel d’infanterie (13 octobre).
- L’abbé Jean-Joseph Bermond d’Ales d’Anduze, ancien chanoine-comte de Vienne, vicaire général honoraire d’Arras (14 octobre).
- Jean-Baptiste de Timbrune de Thiembronne, comte de Valence, général de division (plus tard sénateur, comte de l’empire, pair de France) (15 octobre).
- Frédéric-Charles-Joseph de Haupt, ancien chevalier de Malte (16 octobre).
- Bernardin Renier, ex-noble vénitien (19 octobre).
- Joseph-Louis Louvain de Pescheloche, major (20 octobre)
- Jean-Pierre Mongruer de Fondeviolles, propriétaire à Saint-Domingue (24 octobre).
- Jean-Baptiste Pyron, ancien avocat, peu après « Secrétaire du Saint-Empire » (25 octobre).
. Six de ces promus étaient, outre de Grasse lui-même, membres du Rite Ecossais philosophique : Louvain de Pescheloche (vénérable fondateur de Saint-Alexandre), La Tour d’Auvergne (vénérable en chaire), de Haupt (orateur), Thory (1er surveillant), l’abbé d’Alès (trésorier) et Valence (Président du Souverain Chapitre Métropolitain).
Quand fut formé le Suprême Conseil de France ? Curieusement, aucun auteur ne cite de procès-verbal d’une tenue qui aurait vu l’installation officielle de cet organisme ! Thory (1757-1827) avance deux dates différentes.
En 1812, il écrit :
Le Suprême Conseil du 33e degré a été érigé à Paris, et organisé provisoirement le 22 décembre 1804. Sa constitution définitive a été décrétée et publiée le 19 janvier 1810
Thory, 1812, p.147. .
En 1815, il se ravise et écrit :
22 septembre (1804) : Fondation par M. le comte de Grasse-Tilly d’un Suprême Conseil, pour la France, de Souverains Grands-Inspecteurs généraux du 33e degré du Rite Ancien Accepté
in « Acta Latomorum… », 1815, vol. I, p. 222. Cette date est acceptée par Lantoine. .
Pour A.Doré, ces dates sont une supercherie. Aucun atelier maçonnique, de quelque niveau que ce soit, n’existe sans un acte constitutif, signé par ses fondateurs et dûment archivé dans l’institution dont elle dépend. Or ce Suprême Conseil n’a laissé aucune trace de sa fondation ! « Il n’y aura pas, écrit Doré, de Suprême Conseil de France avant le 19 janvier 1811, et encore disparaîtra-t-il en 1814 avec l’Empire pour ne réapparaître que le 6 juin 1821 »
La Rø Mère Lø Ecoø s’occupait d’ouvrir sa correspondance avec les RRø LLø de son régime, quand elle fut instruite que le Tø Illø et Tø Rø Fø de Grasse-Tilly avait réuni en sa qualité de Gd Commandeur ad vitam le Supø Conseil du 33e et dernier degré »
E. Gout, 1985, p. 19. .
Subtilement, Gout argue de l’article 5 des grandes Constitutions qui stipule que lorsque
trois (des neuf membres d’un SC), si le très puissant souverain (grand commandeur) ou l’illustre inspecteur (lieutenant grand commandeur) sont présents, peuvent procéder aux affaires de l’ordre et former le conseil complet
pour estimer que le Suprême Conseil fut de facto constitué dès que le quota minimum de trois Grands Inspecteurs Généraux fut atteint, c’est à dire le 10 octobre 1804, date de la réception de Vidal qui, avec de Grasse lui-même et Le Tricheux, vint compléter ce nombre
Légende : page d’un registre conservé dans la bibliothèque du SCPLB. Le SCDF aurait été créé le 22 septembre 1804. Le compte-rendu en existait bel et bien, mais la veuve de Thory aurait refusé de le rendre.
Par contre, la création de la Grande Loge Générale Ecossaise, décidée le 23 octobre 1804, par un Comité général des Vénérables et Députés des loges Ecossaises, convoqué à l’initiative de Saint-Alexandre d’Ecosse, ne fait aucun doute. Ce comité général, considérant « qu’il était important que le rite écossais d’Heredom soit régulièrement et scrupuleusement conservé…, les grades du régime écossais étant les seuls connus dans les orients étrangers…qu’il était de la dignité des maçons français du rite ancien d’avoir un point central dans la capitale de l’Etat » arrêtait établir la Grande Loge Ecossaise de France et offrait la Grande Maîtrise au prince Louis Bonaparte, frère de Napoléon et connétable de l’Empire
Si l’affaire semblait bien engagée, la volonté de Napoléon vint changer la donne. Il exigea la fusion immédiate du Grand-Orient et de la Grande Loge Générale, fusion qui fut entérinée par un traité d’union dit « concordat », signé le 3 décembre 1804 au domicile du maréchal Kellermann
Le document adopté ce jour-là débute par un « acte d’union », espèce d’énoncé des motifs.
Légende : document conservé dans la bibliothèque du SCPLB. Le texte entier est signé par Grasse-Tilly, Montaleau, Challan, Doisy, Defoissy, Pyron Thory et autres ; certifié par Pyron, Grasse-Tilly, Vidal et Thory.
La suite du texte s’intitule « De la Constitution générale de l’Ordre »
Du grand conseil des députés inspecteurs-généraux du 32° degré, et du sublime conseil du 33°.
Le Grand-Orient de France possède, dans le grand chapitre général, le grand conseil du 32e degré et le sublime conseil du 33e degré.
Les attributions du 33e degré, indépendamment de celles qui appartiennent à ses fonctions, sont de s’occuper des plus hautes connaissances mystiques et d’en régler les travaux.
Il prononce sur tout ce qui tient au point d’honneur ; il peut destituer un grand officier du Grand-Orient de France, par suite des plaintes et dénonciations qu’il reçoit exclusivement de la part de celui des ateliers auquel appartient l’officier inculpé, d’après des formes maçonniques.
Le suprême conseil du 33° degré peut seul réformer ou révoquer ses décisions
Des attributions des grands chapitres métropolitains.
… Chaque classe ne pourra v conférer que les grades qui seront indiqués par le Grand-Orient de France dans son grand chapitre général, de manière que ceux de la seconde classe ne pourront être conférés que dans le chapitre qui en aura reçu les pouvoirs, et ainsi de classe en classe.
Les quatorze premiers grades seront les seuls que les Chapitres particuliers pourront conférer.
Le quinzième, jusques et y compris le dix-huitième, ne pourront être conférés que dans le grand chapitre général du Grand-Orient de France.
Le 33° degré n’appartient qu’au sublime grand conseil de ce nom, qui seul peut le conférer…
Les inspecteurs généraux du rit ancien, reconnus pour tel jusqu’à ce jour, sont membres nés du grand conseil du 32° degré
in Sétier, 1832 : 60-65. Très imparfaitement cité par Jouaust, 1865 : 309-310. .
Le traité, ou concordat, ne pouvait satisfaire les Ecossais :
- Le mot « Traité » n’apparaît que dans l’énoncé des motifs, pas dans le corps du texte.
- Le titre « Ecossais » n’est cité qu’une fois, à l’article 5 des Dispositions Générales (« les respectables frères Lacépède, Hacquet, Godefroy de la Tour d’Auvergne, De Trogoff, Thory, Bailhache etc, …, membres de l’ancien rit écossais ancien et accepté
C’est la première fois qu’apparaît l’expression « Rit écossais ancien accepté ». , sont proclamés affiliés libres de toutes les loges et de tous les chapitres de France ») or la reconnaissance de ce statut était une revendication essentielle. - Le pouvoir des 33° se limitait à la seule administration des deux derniers grades, 32° et 33°, les autres dépendant du Grand Chapitre général, émanation du Grand-Orient.
- Seule la prérogative inattendue de destitution éventuelle des Grands Officiers semblait reconnaître au « Sublime Conseil » une autorité disciplinaire que rien, il faut le dire, ne justifiait.
Seule consolation, les Grands Inspecteurs Généraux
Ces articles ne laissaient aux 33e de Grasse-Tilly qu’une bien maigre portion. Il contenait en germe les causes du conflit qui amena, dès l’année suivante, la remise en cause du traité d’union. En attendant, de Grasse usa de ses pouvoirs pour admettre, le 29 décembre, au 33e degré deux des trois Commissaires du Gø Oø qui avaient participé à la rédaction du projet de traité, Roëttiers de Montaleau et Challan
Les mois qui suivirent virent des événements singuliers que nul n’a jamais pu débrouiller avec certitude. Nous n’en retiendrons que les faits qui en relation avec notre propos.
La Grande Loge Générale Ecossais tint sa dernière séance le 5 décembre 1804, jour de la ratification du traité d’union, et, le 8 janvier 1805, elle déposait ses sceaux et archives entre les mains du GODF
Les Princø Maçø, Souverains Grands Inspecteurs Généraux, membres du trente-troisième degré en France, formés en Grand Consistoire avec les Princø Maçø, députés Inspecteurs de Rø Secø, délibérant en commun avec les Vénø des Loges Ecossø, et autres membres du même rit présens à la délibération, et convoqués extraordinairement,
Considérant que la Grande Loge Générale Ecossaise de France s’était unie au GøOø, d’après des communications qui lui avaient été faites ;
Qu’il en est résulté un Concordat entre les deux Rits ;
Que le Concordat a été accepté par les deux Rits, sanctionné dans l’assemblée générale du 5°ø Jø du 10°ø Mø 5804, et consacré par la signature et prestation de serment de chacun des membres d’être fidèle à son exécution ;
Que les membres du Rit Ecossø ont scrupuleusement observé et exécuté les différentes dispositions contenues dans ce Concordat, tandis au contraire que les membres du Rit Moderne ont aboli :
Le Conseil des vingt-sept, le Grand Conseil du trente-deux, le Souverain Conseil du trente-troisième, en substituant un Directoire des Rits auquel on concède la faculté de ne reconnaître que ceux qu’il lui conviendra d’adopter, au mépris du Concordat qui unissait au GøOø tous ceux professés sur les deux hémisphères ;
Qu’ils ont dénaturé, et même annulé la nouvelle organisation maçonnø consacrée par le Concordat sur la foi duquel le Rit écossø avait consenti à s’unir au Gø Oø ;
Qu’ils ont mis à l’écart les lois, statuts et règlemens généraux, ainsi que les formalités voulues par ces mêmes lois qui étaient une garantie pour tous les Maçø qui les observaient,
Ont décrété, à l’unanimité, le scrutin n’ayant rapporté aucune boule noire, les articles qui suivent :
Décret :
Article 1er : L’ancien Rit Ecossais n’est plus uni au GøOø Le concordat du troisième jour du dixième mois 5804 est regardé comme non avenu.
Art II : La Grande Loge générale Ecossø est rétablie. Ses travaux seront remis en activité dans le plus bref délai ; à et effet les anciens membres sont dès à présent convoqués pour reprendre provisoirement leurs fonctions.
Art III : Une commission, composée de 12 Princes Maçons, présentera dans la séance indiquée au 16 de ce mois, les articles provisoires de cette constitution et d’une nouvelle organisation. Les membres de cette commission seront les RR.FF.
Kellermann, grand Administrateur de la GLE.
Pyron, grand Orateur
Reiner, grand secrétaire
Thory, VM de Saint Alexandre
Fondeviolles, VM de la Triple Union
Girault, VM de la Réunion des Etrangers
Hacquet, VM du Phénix
Bailhache, VM de St Napoléon
Saint Eloi, VM de Sainte Joséphine
De La Flotte, VM de la Parfaite Union
Le Court Villiers, Orateur de St Napoléon
Tureau, Orateur de Sainte Joséphine.
Art IV : la loge de Saint Alexandre d’Ecosse reprendra des ce jour son titre de Mère-Loge.
Art V : La notification du présent décret sera faite dans la journée de lundi prochain au GøOø de France en la personne du Røø F øøMontaleau, par les Vénérables de la Salle, Hacquet et De La Flotte.
Art VI : il en sera fait part au FF. Ecossais de Marseille, Douai, Valenciennes, au chapitre jacobite d’Arras et au F. Mattheus de Rouen, avec invitation de nommer sur le champ un député pour concourir à la formation nouvelle des Statuts et Règlemens du Rit Ecossais en France. et à l’ organisation définitive de la Grande Loge et à toutes les Loges et Chapitres, quelque soit leur Rite soit en France ou hors de France sur les deux hémisphères.
Art VII : Néanmoins, la présente délibération ne recevra exécution définitive qu’autant que le GøOø de France n’aura pas rétabli, d’ici au 15 de ce mois exclusivement, le concordat…dans toutes les dispositions qu’il renferme, tel qu’il a été signé par les Commissaires des deux Rits, et qu’il n’aura pas annulé les différens arrêtés et délibérations par lui pris et qui sont contraires tant aux dispositions qu’aux formes et formalités prescrites par le Concordat ; à l’effet de quoi la séance est continue au seizième jour de ce mois pour donner à la présente délibération sa pleine et entière exécution, dans le cas où le Gø Oø N’aura pas obtempéré à la présente délibération….
Notons qu’aucune des loges citées ne faisaient partie de la Grande Loge de France qui s’était unie en 1799 au GODF. Il est donc faux de dire que cette Grande Loge s’était « reconstituée ».
Le 16 septembre, les mêmes décidaient que les deux Rites étaient séparés et qu’ils travailleraient séparément chacun suivant son dogme.
Que le Conseil du trente-deuxième degré des Sublø Princø de Rø Secø et le Souverain Conseil des Grands Inspecteurs-généraux trente-troisièmedegrén’ont plus leur siège dans le grand Chapitre général, ainsi qu’il avait été décrété par le Concordat.
Que les différents Rits unis au Gø Oø y seraient seulement représentés par des Commissaires de chaque Rit, formés en directoire des Rits
Les Ecossais acceptaient donc la formation de ce Directoire des Rits, souvent présenté comme le casus belli qui mit le feu aux poudres ! unis, sous la condition expresse de se conformer aux instructions qui leur seraient données par leur RitPyron, 1817 : 40-41. .
Le 24 septembre était constitué le Grand Consistoire de France, en lieu et place de la Grande Loge Générale Ecossaise qui ne sera jamais rétablie :
Le Suprême Conseil, usant de la puissance dont il était investi par les grandes constitutions de 1786, au lieu de remettre en activité la Grande Loge Ecossø, conformément à la délibération des quatre-vingt-un Princø Maçø du six (sic) du même mois, organisa, dans la même séance du 24 septembre, un Grand Consistoire du trente-deuxième degré ; il proclama les membres appelés à le composer, et procéda de suite à leur installation.
Il arrêta en outre qu’il organiserait dans les villes principales, aussitôt que les circonstances l’exigeraient, des Conseils particuliers du trente-deuxième degré, et des Tribunaux du trente-unième … On ne s’occupa point, dans cette séance, de l’initiation aux dix-huit premiers degrés
Souligné par moi. , ni de la concession des chartes capitulaires propres à ces degrés. Le mode de cette concession consentie par le Concordat, continua tacitement de subsister, sauf à s’en occuper lorsque la dignité du Rit, le maintien de la puissance suprême dont il a été investi par les constitutions de 1786, et le respect dû aux lois et statuts généraux de chaque Rit, commanderaient de ne plus laisser concéder ces degrés parties intégrantes du Rit ancien, par un Rit auquel ils sont totalement étrangers ; et, à cet égard, le GøOø ne peut représenter aucun traité entre lui et le Rit ancien, postérieur à l’arrêté de ses commissaires du 16 septembre 1805, et à ses nouveaux statuts et règlements du 17 novembre 1806 dont il sera ci-après parléCité par Pyron (1817 : 41) qui est loin d’être un témoin impartial !. .
3. Les premiers rituels des grades « symboliques » du REAA
Dans toute cette affaire, il ne fut pas question des rituels des grades bleus. Tout se résume à une sombre question de suprématie administrative et de préséances protocolaires. Les grands principes affirmés par Abraham et ses amis ne semblent pas avoir retenu l’attention des protagonistes du traité ou de sa rupture. La conclusion en fut un partage des compétences : au Grand-Orient la gestion des grades du 1er au 18°, au Suprême Conseil le monopole des grade supérieurs, monopole dont il ne fit d’ailleurs qu’un usage modéré puisqu’il se limita pendant de nombreuses années à ne conférer, avec parcimonie, que les 31°, 32°et 33° degrés
Les loges bleues sous le premier Empire dépendaient exclusivement du Grand-Orient et le Suprême Conseil ne se mêla jamais de leur fonctionnement. Ce qui ne signifie pas qu’aucune ne travailla au REAA. L’annuaire du Grand-Orient de 1811 cite plusieurs loges, à Paris et en province, travaillant à ce Rite. Trois seulement étaient antérieures au retour en France d’Hacquet et de Grasse-Tilly (Saint-Alexandre, la Triple Unité et Marie-Louise
Annuaire du GODF 1811
Paris. 91 loges dont 14 au REAA : · Les Amis de la Vertu 14 mai 1805 · Le Grand Sphinx 3 novembre 1804 · Jérusalem 11 avril 1804 VM : Rouyer · Le Lys étoilé 20 mars 1807 · Marie Louise 11 janvier 1784 (ex Réunion des Etrangers) · Le Phénix 14 juin 1804 VM : Hacquet · Royal-Arch 2 mars 1806 · Saint Alexandre d’Ecosse 7 juillet 1782 · Sainte Caroline 18 mai 1805 VM d’Honneur: Cambacérès VM: le Peletier d’Aunay · Saint Jean d’Ecosse de la Parfaite Union 22 janvier 1805 · Saint Joseph 29 novembre 1807 VM : Duval Deprémesnil · Sainte Joséphine 27 janvier 1805 · Saint Napoléon 10 novembre 1804 VM d’Honneur: Kellermann (fondée par Grasse-Tilly) VM: Rampon · La Triple Unité 27 septembre 1801 VM d’H: Fondeviolles En province ou à l’étranger : ¨ 5 loges au REAA : Hédée (Nature et Philanthropie, 25 mars 1809), Lyon (la Bienfaisance, 24 septembre 1806), Rome (la Vertu triomphante, 5 juin 1806), Toulouse (le Faisceau, 15 décembre 1810), Valenciennes (La Parfaite Union et Saint Jean du désert Réunis, 3 juillet 1733) ¨ 8 loges travaillant aux deux Rites : Amiens (la Parfaite Sincérité, 13 décembre 1784), Amsterdam (Sainte Marie Louise d’Autriche, 25 octobre 1810 ; Saint Napoléon, 5 août 1810), Gènes (Saint Napoléon (2 décembre 1805), Le Havre (L’Aménité, 15 mai 1775), Le Saint-Esprit, près de Bayonne (la Parfaite Réunion, 12 mars 1806), Lille (la Fidélité, 21 mai 1805), Limoges (les Amis Réunis, 30 janvier 30 janvier 1805) ¨ Directoire Ecossais du 5° district (sic), fondé le 2 août 1766. Grand Maître Provincial : De Bry Cinq loges : La Sincérité et Parfaite Union (Besançon), l’Union des Cœurs (Genève), la Réunion désirée (Gray), la Parfaite Egalité (Lons-le-Saulnier), l’Union Parfaite (Salins). |
Puisque il existait sous l’Empire des loges travaillant, sous l’obédience du GODF, au REAA, il devait exister un ou plusieurs rituels propres à ce Rite.
3.1 Le rituel d’apprenti de la Triple Unité Ecossaise.
La première édition imprimée des grades bleus de REAA s’intitule « le Guide des Maçons Ecossais ou Cahiers des trois grades symboliques du Rit Ancien et Accepté ». Il porte la mention « A Edimbourg. 58ø », ce qui n’est guère concluant. Dans le corps du texte, aucune obédience n’est mentionnée et la première santé d’obligation s’adresse « à Sa Majesté et à son auguste famille ». L’omission de l’épithète « Impériale » suffit à attribuer le document à l’ère post-napoléonienne. De fait, la plupart des auteurs s’accordent à y voir un document datant de la Restauration. Est-ce à dire que les rituels dont il s’agit furent rédigés à cette époque ? Nous pouvons, sans le moindre doute, répondre par la négative.
En effet, le hasard m’a permit de découvrir, dans la bibliothèque du Suprême Conseil pour la Belgique
Cette loge, quoique fondée en 1801, appartenait à la Grande Loge Générale qui n’eut, nous l’avons vu, qu’une vie éphémère, d’octobre à décembre 1804, avant de se fondre dans le Grand-Orient de France, tandis que la Triple Unité passait sous l’obédience de ce dernier. Point essentiel : elle avait, en 1805, pour vénérable le Fø Fondeviolles, « propriétaire à Saint-Domingue », qui fut l’un des premiers reçus au 33° degré par Grasse-Tilly. Ce rituel dut être copié durant cette courte période qui vit, entre autres événements remarquables, le sacre de Napoléon (2 décembre 1804) et le traité d’union du Grand-Orient et de la Grande Loge Générale Ecossaise du Rit Ancien (5 décembre 1804).
La lecture du texte permet d’être plus précis encore. La consécration du néophyte se fait « sous les auspices de la Grande (Loge) métropole d’Hérodom sous le Régime Ecossais réuni au Gø Oø de France ». Comme la Grande Loge Ecossaise s’unit au GODF le 5 décembre 1804 et disparut définitivement le 8 janvier 1805
La lecture de ce rituel essentiel amène une première conclusion : il est identique, à peu de choses près, au « Guide des Maçons Ecossais », ce qui résout une première question : le texte publié sous la Restauration est bien antérieur à celle-ci.
Le document est un cahier de 48 pages, d’une écriture élégante et très lisible. Intitulé : « Rit ancien accepté. Premier grade d’apprentif », il comporte l’ouverture de la loge, l’ouverture des travaux (lecture des derniers travaux, introduction et tuilage des visiteurs), la réception, l’instruction et la clôture des travaux.
3.1.1. L’ouverture de la loge.
Elle est nettement plus élaborée que l’ouverture au Rite Français, de 1786 ou de 1801. On y retrouve à la fois, quoique avec quelques variantes dans les termes, les dialogues habituels aux loges françaises (en italique dans le texte) mais aussi des emprunts textuels à la divulgation anglaise de 1760, les «Three Distinct Knocks… », y compris une erreur flagrante du texte anglais reprise telle quelle dans la version française (en gras dans le texte) ! Or on sait que cette divulgation n’est autre que le rituel en usage dans les loges anglaises d’inspiration irlandaise travaillant sous l’autorité de la Grande Loge
Three Distinct Knocks-1760 | Triple Unité Ecossaise-1804 |
Master, to the junior Deacon
What is the chief care of a mason ? Answer . To see that his Lodge is tyl’d. Mas. Pray do your Duty N.B. The junior Deacon goes and gives Three knocks at the Door; and if there is nobody nigh, the Tyler without answereth with Three Knocks: The junior Deacon tells the Master, and says : Worshipful, the Lodge is tyl’d. Mas. to jun. Dea. The junior Deacon’s place in the Lodge ? Deacon : At the Back of the senior Warden, or at his Right-hand if he permits him. Mas. Your Business ? Deacon’s Ans. To carry Messages from the senior to the junior Warden, so that they may be dispersed round the Lodge Mas. to sen. Dea. The senior Deacon’s Place in the Lodge ? Sen. Deacon’s Ans. At the Back of the Master, or at his Right-hand if he permits him. Sen.Deacon’s Ans. To carry all Messages from the Master to the senior Warden. Mas. The junior Warden’s place in the Lodge ? Deacon’s Ans. In the South. Mas. to the jun. Warden. Your Business there ? Sen. Warden’s Ans. The better to observe the Sun, at high meridian to call the Men from Work to refreshment, and to see that they come on in due Time, that the Master may have Pleasure and profit thereby. Mas. The senior Warden’s Place in the Lodge . Jun. Warden’s Ans. In the West. Mas. to the sen. Warden. Your Business there ? Sen. Warden’s Answer. As the Sun sets in the West to close the Day, so the Senior stands in the West to close the Lodge, paying the Hirelings their Wages and dismissing them from their labour. Mas. The Master’s Place in the Lodge ? Sen. Warden’s Ans. In the East. Mas. His Business there ? Sen. Warden’s Ans. As the Sun rises in the East to open the Day, so the Master stands in the East to open his Lodge to set his Men to Work… N.B. Then the Master takes off his Hat, which he has on but at this Time… Mas. The Lodge is open, in the Name of God and holy St. John, forbidding all cursing and swearing, whispering, and all prophane Discourse whatsoever, under no less Penalty than that what the majority shall think proper; not less than One Penny a Time, nor more than Six-pence. N.B. Then he gives Three Knocks upon the Table with a wooden hammer, and puts on his Hat. |
Le V :. M :. frappe & dit,
– Debout et à l’ordre, mes FF :. – F :.:. 1er S :.:. Quel est le premier devoir d’un Surveillant en loge ? – C’est de voir si la loge est couverte. Le V :.:. M :.:. dit – Faites-vous en assurer mon F :.:. Le F :.:. 1er S :.:. donne l’ordre au F:.:. 2ème S :.:. qui le transmet au F :.:. Couvreur, lequel après avoir regardé à l’extérieur du temple referme la porte & dit au F :.:. 2ème S :.:. qui le transmet au F :.:. 1er S :.:. que le temple est à couvert. Celuy -ci dit au V :.:. M :.:. : Le temple est couvert. – F :.:. 2ème S :.:. quel est le second devoir d’un F :.:. S :.:. en loge ? – C’est de voir si nous sommes tous maçons & à l’ordre. Le V :.:. M :.:. dit : Assurez vous en mon F :.:. Le F :.:. 1er S :.:. le répète au F:.:. 2ème S :.:., celui ci rend compte & puis le F :.:. 1er S :.:. dit au V :.:. M :.:. – Nous sommes tous maçons & à l’ordre. – F :. 2ème Diacre, quelle est votre place en loge ? – A la droite du F :. 1er S :. s’il veut le permettre. – Pourquoy mon F :. ? – Pour porter les ordres du F :. 2ème S :. & veiller à ce que les FF :. se tiennent decemment sur les colonnes. – Ou se tient le F :. 1er Diacre ? – Derrière ou à la droite du V :. M :. s’il veut bien le luy permettre. – Pourquoy F :. 1er Diacre occupés vous cette place ? – Pour porter ses ordres au F :. 1er S :. & à tous les officiers dignitaires afin que les travaux soient plus promptement exécutés. – Ou se tient le F :. 2ème S :. ? – Au Sud V :. M :. Puis s’adressant au F :. 2ème S :. – F :. 1er S :. pourquoy occupez-vous cette place ? – Pour mieux observer le soleil à son méridien, envoyer les ouvriers du travail à la récréation, les rappeller du travail afin que le V :. M :. en retire honneur & gloire. – Ou se tient le F :. 1er S :. ? – A l’Ouest V :. M :. ? Puis s’adressant au F :. 1er S :. il luy dit. – F :. 1er S :. pourquoy occupes vous cette place ? – Comme le Soleil se couche à l’ouest pour fermer le jour, de même le F :. 1er S :; s’y tient pour fermer la loge, payer les ouvriers & les renvoyer contens. – F :. 1er S :. ou se tient le V:. M :. ? – A l’est V :. M :. – Pourquoy mon F :. ? – Comme le Soleil se lève à l’est pour commencer sa course & ouvrir le jour, de même le V 😕 M :; s’y tient pour ouvrir la loge, la diriger dans ses travaux & l’éclairer de ses lumières. Le V :. M :. frappe alors (trois coups) de son maillet par tems égaux ; ensuite se tournant vers le F :. 1er diacre , ils font mutuellement le signe guttural. Le V :. M :. lui donne le mot sacré en cette manière B :. O :. O :. Z :. pour ouvrir la loge d’apprentiff maçon du Rit ancien accepté dans la loge Ecossaise la triple unité. Le F :. 1er diacre le porte au F :. 1er S :. qui l’envoye par son 2ème diacre au F :. 2ème S :. qui frappe (un coup) et dit. – V :. M :. Tout est juste et parfait. Le V :. M :. en se découvrant dit – A la G :. du G :. A :. de l’U :., au nom & sous les auspices de la métropole universelle d’Herodom, sous le Régime Ecossais réuni au G :. O :. de France, la R :. L :. Ecossaise la triple unite est ouverte au grade d’apprentif ; il n’est plus permis de parler ny de passer d’une colonne à l’autre sans en avoir reçu la permission du F :. S :. de sa colonne. – A moy mes FF :. Tous les FF :. font le signe guttural. |
L’influence du Rite « Ancien » anglo-irlandais est évidente. L’auteur de ce rituel avait incontestablement sous les yeux la divulgation anglaise de 1760 lorsqu’il rédigea cette ouverture. Aux Anglais, il emprunta la position des Surveillants, le premier à l’Ouest et le second au Sud, ainsi que les diacres, typiquement irlandais, qui n’avaient jamais existé sur le continent et que ne connaîtront jamais les loges « Modernes » de la première Grande Loge d’Angleterre
Le résultat est essentiellement syncrétique, alliant usages « Antients » et tradition française.
Notons que la Bible n’est nulle part citée dans cette ouverture, pas plus que dans le texte anglais d’ailleurs. Cependant, en dernière page du cahier, elle est nommément citée :
Nota : La loge d’apprentif de la loge Ecossaise la triple unité ne doit jamais ouvrir les travaux sans que la Bible soit sur l’autel, ouverte à la deuxième epitre de Saint Jean avec le compas aussy ouvert dessus & ses deux pointes sur un equerre de quatre pouces environ. Les pointes du compas tournées entre le Sud et l’Ouest & les deux pointes de l’equerre vers l’Est.
Rappelons que le « Régulateur » ne prévoyait rien de tel : sur l’autel du vénérable était disposé le recueil des Statuts Généraux de l’ordre, recouvert de l’épée.
3.1.2. L’ouverture des travaux.
Distincte de l’ouverture de la loge, elle prévoyait l’introduction des visiteurs qui étaient, si nécessaire, tuilés de façon très « continentale » :
D. Tø Cø Fø Visiteur, d’où venes vous ?
De la loge de St Jean, Vø Mø
D. Qu’en apportes vous ?
Joye, santé, prospérité à tous mes FFø
N’apportés vous rien de plus ?
Le Vø Mø de la loge vous salue par 3 fois 3.
D. Qui faisait on ?
R. On elevait des temples à la vertu & on creusait des cachots aux vices.
D. Que venes vous faire ici ?
R. Vaincre mes passions, soumettre mes volontés & faire de nouveaux progrès dans la maçonnerie.
D. Que demandes vous mon Cø Fø ?
Place parmy vous.
La réception d’apprenti
Elle mêle éléments classiques de la maçonnerie française et usages anglais de Rite Ancien en un nouvel exemple de ce syncrétisme caractéristique de ce rituel hybride comme le démontre l’annexe n° 1 qui compare les péripéties de la réception au premier grade selon le rituel d’Avignon (Rite Ecossais Philosophique), le « Régulateur » (Rite Français) et le rituel de la Triple Unité (Rite Ecossais Ancien Accepté).
Si le schéma de base (préparation du candidat-introduction-voyages-obligation-lumière-consécration) est identique dans les trois rituels, ce qui ne peut surprendre puisqu’il est la base même du système, les détails varient. La préparation est identique mais les épreuves purificatoires par l’eau et le feu, présentes à Avignon et reprises par le Régulateur, se limitent au feu dans le texte de la Triple Unité. Les épreuves accessoires (coupe d’amertume, saignée, marque de la bougie et test de la bienfaisance) apparaissent à des moments différents de la cérémonie. Remarquons l’absence de toute référence alchimique dans le rituel du REAA : le sel et le soufre ne se trouvent que dans la cabinet de réflexion du Régulateur.
Fondamentale est la prière, prononcée par le vénérable après l’introduction du candidat :
Mes FFø Humilions nous devant le Souverain arbitre des mondes.. ! reconnaissons sa puissance & notre faiblesse ..! Contenons nos esprits & nos coeurs dans les bornes de l’equite, & marchant
Variante dans le rituel du SCPLB discuté plus loin : « et marchons dans des voies sûres ». dans des voyes sures elevons nous jusqu’au maître« devant le Maître de l’univers » de l’univers.. il est un.. il existe« il subsiste par lui-même » par lui meme.. c’est à luy que tous les etres doivent leur existence.. il opere en tout & par tout, invisible aux yeux des mortels, il voit luy meme toutes choses.. c’est luy que j’invoque.. c’est à luy que j’adresse mes voeux & mes prieres.Daigne, ô grand architecte
« ô grø Aø de l’uø » , daigne je t’en conjure proteger les ouvriers de Paix que je vois icy« réunis ici » .. echauffe leur tete« leur zèle » , fortifie leur ame dans la lutte fatiguante« fréquente » des passions, enflamme leur coeur de l’amour des vertus, & decide leurs succes ainsy que ceux du nouvel aspirant« celui de ce nouvel aspirant » qui desire participer à nos mysteres auguste & sublimes« à nos augustes travaux. » …prete à ce candidat ton assistance & soutiens le de ton bras puissant, au milieu des epreuves qu’il va subir…Amen.Amen. Amen.
Cette prière est suivie de la question-test, typiquement britannique et « ancienne » : « Prophane en qui mets tu ta confiance ? » et la réponse «En Dieu ».
En dépit de cet ajout étranger, la cérémonie est très proche du Rite Ecossais d’Avignon et de celui, français, du Régulateur, le seul qui prévoie la consécration par l’épée. Le Rite « ancien accepté » de la Triple Unité conserve l’essentiel de la maçonnerie continentale, le rôle du Frère Terrible qui conduit le candidat dans ses voyages
Par contre, l’influence britannique est, elle aussi, très sensible :
- L’entrée sur la pointe de l’épée.
- La prière
Dans TDK, la prière est ouvertement chrétienne, elle est « non-confessionnelle » dans le rituel français. et la question-test - Les « obstacles » que rencontre le candidat lors des 3 voyages, auprès des surveillants et du vénérable
- La prestation de serment sur la Bible surmontée de l’équerre et du compas.
Essentielle est l’adoption des « secrets » de la maçonnerie Ancienne : le mot du grade, B…, et non J… comme c’était la règle en France depuis l’introduction de l’Ordre, tradition conservée tant par le Rite Français que par les Rites Ecossais, qu’il soit « Philosophique » ou « Rectifié » ; l’absence de mot de passe qui ne fait que confirmer l’alignement du rit ancien accepté sur le Rite ancien anglo-irlandais.
3.1.4. L’instruction.
Elle surprend car elle décrit une cérémonie de réception très différente de celle qu’a effectivement subie le néophyte. Tous les éléments typiquement continentaux en sont absents. Rien là qui doive surprendre puisque cette instruction n’est autre que la traduction littérale des « Trois Coups Distincts » (annexe n°2). Le rédacteur s’est contenté de copier le texte anglais, sans se rendre compte des incohérences qu’elle introduisait dans le produit final.
A l’évidence, la juxtaposition de deux textes aussi différents ne pouvait qu’amener la confusion la plus complète, confusion bien démontrée par deux exemples :
- Dans l’instruction du TDK, le candidat reçoit la lumière alors qu’il est agenouillé à l’est devant l’autel et la main posée sur les « trois grandes lumières dans la franc-maçonnerie » tandis que la tradition continentale est respectée dans le texte de la réception qui prévoit qu’il se tient à l’ouest du tableau et découvre le cercle des épées lorsque le bandeau lui est enlevé.
- Les trois chandeliers d’angle, Grandes Lumières en France, Petites Lumières (lesser Lights) en Angleterre, se voient baptisées « Sublimes Lumières », le traducteur, ne pouvant se résoudre à leur assigner un rôle subalterne.
3.2. L’Art du Parfait Tuileur.
Le rituel de la Triple Unité, qui sera repris par le « Guide », frappe par son syncrétisme et le mélange, voire la juxtaposition, d’éléments britanniques et continentaux. Il n’est original que dans la mesure où il allie deux traditions en un ensemble hybride et, parfois, contradictoire. Aussi loin des rituels « Ecossais » que du Rite Français, il n’est plus ni l’un ni l’autre, sans pour cela jouer la carte anglaise de façon univoque. A-t-il satisfait les « Ecossais » rétifs ? Je n’en sais rien. Si tel fut le cas, ce ne peut être que par ses relents « Anciens » qui allaient si bien avec les récriminations du F. Abraham
Celui-ci, en tout cas, adopta les particularités des « Antients », comme l’avait fait la Triple Unité, lorsqu’en 1807, il publia « L’Art du Parfait Thuileur »
Remarquons qu’à cette époque, le tablier de maître était blanc doublé et bordé de bleu (et non de rouge), portant un soleil sur la bavette. Un cordon bleu moiré, portant le bijou (équerre, compas et règle) complétait le décor.
3.3. Le manuscrit du Suprême Conseil pour la Belgique.
La bibliothèque du Suprême Conseil possède un manuscrit intitulé « Cahiers des 33 grø de la Maçø Ecossø Rit ancien-accepté » que les santés d’obligation permettent de dater avec précision : la première s’adresse à Napoléon le Grand, Empereur des Français, Roi d’Italie … et à l’Impératrice Marie-Louise, son auguste épouse, ainsi qu’aux Princes et Princesses de la famille impériale. La seconde s’adresse à « Don Joseph, Roi des Espagnes et des Indes, Grand Maître de l’Ordre »
Le premier degré est quasiment identique à celui de la Triple Unité Ecossaise, comme à celui du « Guide des maçons Ecossais » d’ailleurs. Mais ce manuscrit contient aussi les 2ème et 3ème degrés dont nous n’avons pas l’équivalent de la Triple Unité.
3.3.1. Le grade de compagnon.
L’ouverture de la loge de compagnon est très simple, marquée seulement par la circulation du mot de compagnon du vénérable au premier surveillant puis au second surveillant, par l’intermédiaire des diacres. Le candidat, « l{es cheveux épars, sur les épaules, portant une règle de la main gauche, dont un bout est appuyé sur l’épaule gauche, les bras nus, retroussés, sans habit ni gilet, la bavette du tablier haute} », est introduit par le maître des cérémonies. Il est interrogé sur les circonstances de la réception d’apprenti et non sur l’instruction traduite des TDK. A la question « Que vites-vous lorsqu’on vous découvrit les yeux ?», il répond « Tous les FFø armés de glaive dont ils me présentèrent la pointe », alors que l’instruction spécifiait qu’il découvrait, à ce moment, les trois « grandes lumières ».
Le candidat, toujours conduit par le maître des cérémonies, fait ensuite cinq voyages qui représentent les années d’apprentissage que doit accomplir tout apprenti. Il est muni d’instruments, (maillet et ciseau au premier voyage, compas et règle au deuxième, règle et pince au troisième, levier au quatrième) lors des quatre premiers voyages mais il a les mains vides pour le dernier qui signifie qu’il doit employer cette cinquième année à l’étude de la théorie.
Il monte ensuite vers le trône et découvre l’Etoile mystérieuse et « le delta resplendissant de lumière » qui lui offre « deux grandes vérités et deux sublimes idées », le nom de Dieu (le tétragramme) et la géométrie (la lettre G). Viennent ensuite l’obligation et la consécration par l’épée, avant la communication du signe, de l’attouchement, du mot sacré (J) et du mot de passe (Sch).
Cette réception ne diffère en rien de celle du Rite Français et du Régulateur. Le rituel et les explications du vénérable sont la copie conforme du document français. Seuls les « secrets » du grade sont « anciens » (mot du grade, J ; mot de passe, Sch.). Par contre, l’instruction qui suit est, une fois encore, traduite de TDK (annexe n° 4) et décrit une réception qui n’est pas celle qu’a vécue le néophyte.
Le rédacteur, se rendant sans doute compte de l’incohérence, tenta d’en corriger les éléments les plus évidents.
- Dans TDK, le candidat effectue deux tours de la loge et rencontre les mêmes « oppositions » que lors de l’initiation. Or, selon le rituel du SCPLB, il effectue les cinq voyages prévus par le Régulateur. Le rédacteur omit donc très logiquement les questions 11, 12 et 13.
- Le rituel ignore l’attouchement de passe, d’où l’omission de la question 20.
- Point capital : le compagnon anglais reçoit son salaire dans la chambre du milieu, tandis que son homologue continental le reçoit à la colonne de son grade, comme l’enseignaient toutes les divulgations françaises des années 1740. Le rédacteur aligna donc les questions 23 et 24 selon la tradition continentale, non sans respecter la répartition « ancienne » des secrets. C’est à la colonne J et non à la colonne B que le compagnon est récompensé de son labeur.
Par contre, il ne modifia pas le moment de la communication du mot de passe qui était une des différences qui séparaient les Moderns des Antients : ceux-là le communiquaient à l’impétrant après son obligation, avec les autres secrets, ceux-ci le faisaient avant son introduction dans la loge. Les rituels français suivaient l’usage « Modern ». Le rédacteur ne put se résoudre à abandonner cette façon de faire : dans la cérémonie, le mot de passe est donné après la consécration mais l’instruction, contre toute logique, suit le texte de TDK.
Plus encore que le premier grade, celui de compagnon témoigne de la difficulté d’allier deux traditions parfois contradictoires.
3.3.2. Le grade de maître
Les mêmes difficultés se retrouvent au 3ème grade.
La loge est disposée comme le voulait la coutume française :
La loge doit être tendue en noir, parsemée de têtes de mort en blanc et de larmes placées par 3.5.7.Neuf étoiles
Notons le triplement des lumières d’angle, comme c’était le cas au rite Français et aux rites Ecossais, philosophique ou rectifié. placées par trois, devant chacun des trois premières lumières.les Mtresø, autant que possible, seront en noir, chapeau rabattu, un long crêpe, des gants blancs, tablier ordinaire et cordon bleu.Le Vénø Mtreø doit avoir des pleureuses, et un long manteau noir.
Disposition de la chø du milieu.
Au milieu de la chambre, il y aura une bière couverte d’un drap mortuaire parsemé de têtes de mort, d’ossemens en sautoir, avec des larmes. On forme autour de cette bière une séparation avec des panneaux de tentures, pot représenter la chambre du milieu . A un coin de cette chø, du côté du midi, dans son occø, on place une branche d’acacia sur un petit tertre. A la tête de la bière, il y a une équerre posée à terre, au pied, un compas ouvert
Rituel du SCPLB, p. 100. .
L’ouverture suit le modèle anglais et les diacres y ont la même fonction que précédemment (transmettre le mot du grade, du vénérable au deuxième surveillant). Par contre, leur rôle s’arrête là et ils n’apparaissent plus dans la cérémonie de réception. Celle-ci est particulièrement dramatique, bien dans la ligne française :
Lors d’une réception, le dernier maître reçu se place dans le cercueil. Il est couvert d’un linceul blanc jusqu’à la taille, le tablier relevé, le visage couvert d’un linge blanc teinté de sang.
Le candidat est sans souliers, les bras et les seins nus, sans métaux. Une petite équerre est attachée à son bras droit, un corde est attachée à sa ceinture. Il porte un tablier de compagnon.
La mise en scène est théâtrale, sinon mélodramatique : soupçonné du meurtre car il déclare, à tort, posséder le mot de passe, le candidat est malmené par le vénérable qui le saisit au collet et ne le lâche que lorsqu’il est convaincu de son innocence. La découverte du cadavre, accompagnée de commentaires menaçants, est suivie par un seul voyage, effectué sous la conduite du maître des cérémonies et du frère terrible qui tient le candidat par la corde. Conduit à l’occident, celui-ci gagne l’orient « en marchant sur le premier degré de l’angle droit du carré long, en formant une équerre sur le deuxième degré par deux pas, et sur le troisième par un seul », puis il prononce son obligation agenouillé sur les deux genoux, les deux pointes du compas sur chaque sein et la main sur la bible, comme dans le TDK :
Je, N …, de ma libre volonté en présence du Gø Aø de l’Uø, et cette Rø Loge dédiée à St-jean, jure et promets solennellement de ne jamais révéler les secrets des Mtre?ø Maçø du rit ancien accepté qu’à celui reconnu pour tel, d’obéir aux ordres émanant d’une loge régulière ; de garder tous les secrets de mes FFø comme les miens propres, excepté dans les cas de meurtre ou de trahison ; de ne jamais leur faire tort, ni souffrir qu’il leur en soit fait ; de les servir de tout mon pouvoir ; de ne jamais séduire leurs femmes, filles ou soeurs, promettant encre de remplir mes précédentes obligations sous peine (ici, le Tø Rø frappe un coup, saisit la main droite du récipiendaire, et lui fait faire le signe de Mtreø) d’avoir le corps ouvert en deux, une partie portée au Sud, et l’autre à l’Ouest, mes entrailles brûlées, les cendres jettées au vent, afin qu’il ne reste rien de moi. Ce dont Dieu me préserve. Ame !Amen ! Amen !
Il baise trois fois la bible et reste à genoux.
Le très respectable (titre du vénérable à ce grade) le relève en lui disant « Levez-vous, Fø J.A.K.I.N. » et lui annonce qu’il va représenter « le plus grand homme du monde maçø, notre Rø Mø Hyram, qui fut tué lors de la perfection du temple ». Le 1er surveillant se place l’ouest, armé d’une équerre ; le 2ème surveillant, au sud, armé d’une règle de vingt-quatre pouces et le très respectable à l’est, armé de son maillet.
Suit le discours historique qui rapporte la version « ancienne » de la légende d’Hiram : le complot ourdi par quinze compagnons, la rétractation de douze d’entre eux, l’obstination des trois derniers (ici nommés Jubulas, Jubulos et Jubulum), la visite d’Hiram au temple, son triple refus de donner le mot de maître, les coups portés au sud, à l’ouest puis à l’est (symboliquement par les surveillants et le très respectable), le transport du cadavre hors de Jérusalem et son inhumation, l’envoi par Salomon des douze compagnons repentis qui se divisent en quatre bandes, la découverte des assassins dans une grotte près de Jaffa (Joppa dans le texte), leur présentation à Salomon et leur exécution ultérieure (Jubulas eut la gorge tranchée, Jubulos le coeur arraché et Jubulum le corps coupé en deux parties, l’une jetée au nord et l’autre au midi), l’échec enfin de la quête des compagnons.
Jusque là, la légende suit fidèlement le récit « ancien », tel qu’il est rapporté dans TDK, y compris l’avertissement de Salomon aux douze compagnons : s’il ne pouvaient trouver la parole de maître, « elle était perdue, attendu quelle ne pouvait être donnée que par trois personnes réunies, dont Hiram faisait partie ». Dans ce cas, le premier signe et le premier mot qui seraient fait et prononcé en retrouvant et en exhumant le corps d’Hiram seraient substitués aux anciens signe et mot de maître.
La suite du récit, très curieusement, adopte la version française, classique depuis « L’Ordre des Francs-maçons trahi… » de 1745 : devant l’échec des compagnons, Salomon envoie neuf maîtres qui découvrent la tombe sur le mont Moriah et la marquent d’une branche d’acacia avant de faire rapport à Salomon. Celui-ci leur ordonne de l’exhumer et de ramener sa dépouille à Jérusalem. L’exhumation se fait de la façon habituelle mais le mot prononcé dans la position des cinq points de perfection est Moabon, le mot en M utilisé par les « Antients » anglais.
Suivent la consécration et la communication des secrets du grade, le « grand signe des maîtres » (bras levés au-dessus de la tête retombant sur le tablier avec l’exclamation, « Ah Seigneur, mon Dieu ! » ) ; le mot de passe, T.; le mot sacré, M.; l’attouchement (les cinq points de la maçonnerie), le signe pénal et l’acclamation écossaise (Houzé ! Houzé ! Houzé !).
On retrouve là encore ce curieux mélange d’éléments « anciens » et « modernes », c’est-à-dire français. Comment en effet concevoir que le mot de maître soit « perdu » si ce sont neuf maîtres, et non douze compagnons, qui relèvent le cadavre ? Or c’est bien là la caractéristique essentielle du Rite ancien : l’ancien mot du maître est bel et bien perdu puisque trois seulement le connaissent et ne peuvent le prononcer que lorsqu’ils sont réunis et d’accord. Au Rite Français, l’ancien mot n’est que remplacé par un mot de substitution, mesure de prudence qui n’empêche qu’il soit connu de tous les maîtres et gravé sur le triangle déposé sur le tombeau d’Hiram.
L’instruction qui suit n’est, une fois de plus, que la traduction littérale de TDK. Elle est donnée en annexe. Pour aider la démonstration, sont présentées la version originale de TDK, celle du manuscrit de Bruxelles, celle du Guide des Maçons Ecossais et une autre version datée de 1812, conservée à la bibliothèque du Grand-Orient des Pays-Bas (fonds Kloss, cote 123 C 45 – 56 H 45), « Lois constitutionnelles, Statuts & Reglemens généraux du Rit Ecossais ou ancien accepté ».
3.4 Le Guide des Maçons Ecossais.
Le Guide suit fidèlement
Son principal intérêt est son introduction qui le pose en rival du Régulateur, affirmant ainsi la différence essentielle qui sépare Rite français et Rite écossais ancien (et) accepté :
Quoiqu’en disent les détracteurs de la Maçonnerie Ecossaise, il n’en est pas moins constant que les loges de ce rit sont généralement répandues dans tous les états de l’Europe et de l’Amérique, et que le rit d’Hérédon obtient une préférence marquée sur le rit moderne… Des correspondances sont établies, dans toutes les langues, pour que toutes les loges, quelques contrées qu’elles habitent, puissent se procurer ces cahiers ; et des mesures sont prises pour que les exemplaires ne soient confiés, pour le débit, qu’à des Maçons qui se soient acquis le plus haut degré d’estime et de considération afin que ce Guide des Maçons Ecossais n’éprouve une publicité aussi scandaleuse que celle qu’on donne journellement aux cahiers du rit Français, sous le titre de Régulateur du Maçon.
3.5. Essai de synthèse
L’essentiel est la parfaite concordance de ces documents qui donnent des grades bleus du REAA une image concordante :
- Ils mêlent éléments Anciens et Français (donc Modernes) en une construction hybride et syncrétique qui les rend, tels quels, injouables sans modifications significatives.
- Les ouvertures et les fermetures suivent le rituel ancien, alors que les cérémonies de réception sont fondamentalement françaises, quoique mâtinées d’éléments anciens.
- La légende d’Hiram présente un mélange des deux versions, Ancienne et Moderne, qui lui enlève beaucoup de son sens (la parole est-elle perdue ou non ?).
- Les assassins sont retrouvés et châtiés, ce qui enlève beaucoup de leur pertinence aux grades de vengeance, dits d’Elu.
- Les Instructions sont traduites de TDK, avec, de ci de là, des concessions aux usages français.
- Les secrets de chaque grade sont anciens, mais les mots de passe sont communiqués après la cérémonie (usage Moderne) et non avant l’admission du candidat (usage Ancien).
- Les acteurs devaient se rendre compte que les instructions décrivaient une autre cérémonie que celle effectivement vécue par l’impétrant, contradiction qui paraît insurmontable, à moins bien sûr que l’instruction n’ait été simplement ignorée, comme c’est le cas dans la plupart des loges actuelles !
Si, marqués par une double influence, française et britannique, ces rituels peuvent à juste titre s’intituler de Rite « ancien », ils diffèrent singulièrement des Rites « Ecossais », philosophique ou rectifié, qui fleurissaient en France au XVIII° siècle. Or, puisqu’ils se nomment bel et bien de « Rite Ecossais ancien et Accepté » et qu’ils furent adoptés par les maçons « Ecossais », il est légitime de concevoir qu’ils le méritaient d’une façon ou d’une autre et, partant, de rechercher une troisième influence.
3.6. L’apport Ecossais – les tuileurs.
L’apport Ecossais se trouve essentiellement dans la disposition de la loge telle que nous la décrivent les Tuileurs de l’époque.
Le « Thuileur des trente-trois degrés de l’Ecossisme du Rit Ancien, dit Accepté » fut publié par de L’Aulnaye (Delaunay) en 1813 et réédité en 1821 sous un nouveau titre, « Thuileur des trente-trois degrés de l’Ecossisme, ou Manuel maçonnique des divers rites pratiqués en France … Nouvelle édition, corr. et augmentée ». Il décrit brièvement la loge d’apprenti « du Rit Ancien » :
Tentures Rouges
Trois lumières, une à l’Est, deux à l’Ouest
Souligné par moi. A l’entrée de la Loge, c’est-à-dire à l’Ouest, sont les deux colonnes, J à droite, et B à gauche.
Titres.
Il y a un Vénérable, placé à l’Orient ; deux Surveillans, l’un à l’Ouest, l’autre au Sud.
Les autres officiers d’une loge ordinaire et complète sont l’Orateur, le Secrétaire, le Trésorier, deux Experts, le Garde-des-Sceaux, l’Hospitalier, le Maître des Cérémonies. Viennent ensuite un Maître des Banquets, un Porte-Etendard, un Porte-Epée, deux Diacres, l’Architecte et le Garde de Temple. En tout dix-huit.
Au grade de maître, par contre, les lumières sont :
Ordinairement trois, ou neuf, groupées par trois, à l’Est, au Sud et à l’Ouest.
Les décors sont un tablier blanc, bavette relevée pour l’apprenti et rabattue pour le compagnon ; un tablier doublé et bordé de rouge pour le maître, avec, au milieu, les lettres M.B. en rouge et un cordon bleu moiré, en écharpe, de droite à gauche.
Les secrets sont ceux du Rite ancien, les noms des colonnes B.. et J… aux 1er et 2ème grades, le mot ancien au 3ème grade, les mots de passe Sc… et Tub … aux 2ème et 3ème grades.
Bref, Delaunay retient du Rite Ecossais la disposition des lumières du grade d’apprenti et, du Rite ancien la disposition des lumières du grade de maître et les diacres. Quant au tablier rouge des maîtres, c’est une innovation qu’ignorait le Tuileur d’Abraham mais qui convient idéalement aux « Ecossais » dont le rouge est la couleur emblématique.
Le « Manuel maçonnique, ou Tuileur de tous les rites de maçonnerie pratiquée en France … par un vétéran de la maçonnerie», publié en 1820 et réédité en 1830 et 1834, complète ces informations. Son auteur, Vuillaume, était particulièrement bien placé : 33°, dès 1818, et membre du Suprême Conseil dit « d’Amérique » présidé par le comte Decazes, il participa, l’année suivante, à une tentative, d’ailleurs avortée, de réunion du GODF et de ce Suprême Conseil, le premier qui eut sous sa direction des loges des trois premiers degrés.
Dans son introduction, Vuillaume écrit :
On nomme rite ancien ou écossais, la Franc-maçonnerie telle qu’elle se pratique en Ecosse, en Angleterre, en Amérique, et dans une grande partie de l’Allemagne. Le rite écossais ancien et accepté, est celui réformé par Frédéric II, roi de Prusse, qui augmenta de huit degrés le rite écossais ancien… on désigne le rite suivi par le Grand-Orient de France et les loges sous sa dépendance, sous le titre de rite moderne ou français
Vuillaume va plus loin qu’Abraham : Ecossais et ancien sont devenus synonymes et l’auteur se sert de cette affirmation que rien, on l’a vu, ne justifie pour prouver l’universalité du REAA . On retrouve là les prétentions habituelles des tenants de l’Ecossisme dont on sait ce qu’elles valent. Vuillaume lui-même n’en était que partiellement dupe puisqu’il écrit en note, à propos de Frédéric :
Quelques uns prétendent que cette réforme n’est pas due à Frédéric II. On n’a pas l’intention d’entrer ici dans la discussion d’un fait que le Suprême Conseil de France considère comme constant, ni exprimer une opinion particulière ; ce n’est qu’une façon de désigner l’écossisme actuel par une chose convenue au moins entre un grand nombre.
« Convenue » est, dans le contexte le mot juste ! Ceci n’enlève rien à l’intérêt du texte.
La loge d’apprenti, nous rappelle Vuillaume, est tendue de rouge.
A l’ouest, sont deux colonnes de bronze, d’ordre corinthien ; sur chaque chapiteau sont trois grenades entr’ouvertes, sur le fût de la colonne, à droite en entrant, est la lettre J, et sur celui de l’autre colonne, la lettre B.
Autour de la loge est la houpe dentelée.
Sur le pavé, au milieu de la loge, un peu vers l’est, est le tracé ou tableau de la loge.
A l’est, est un dais d’étoffe rouge avec franges en or ; au-dessus du dais, est un trône où se place le président ; devant le trône est un autel sur lequel sont posés une équerre, un compas, une bible, un glaive et un maillet. Le trône et l’autel sont élevés au-dessus du pavé, sur une estrade de trois marches.
A la droite du trône, au-dessous de l’estrade, sont la table du secrétaire, et le bureau de l’hospitalier. Vis-à-vis de ces deux tables, et là la gauche du trône, sont : le bureau de l’orateur, et ensuite celui du trésorier.
A l’ouest, en avant de la colonne B est un fauteuil pour le premier surveillant ; au sud, en remontant vers l’est, est un fauteuil pour le second surveillant
Nuance donc par rapport à TDK : le 1er surveillant est au N.O. et non à l’ouest. . Chacun des surveillans a devant soi une table sur laquelle est posé un maillet.Un peu en avant du trône est placé un petit autel triangulaire, nommé l’autel des sermens…
Suit la liste des officiers, identique à celle de Delaunay, soit dix-huit officiers dont les diacres.
Remarquons les éléments constants de la maçonnerie française : les deux colonnes de bronze à l’ouest, le dais surmontant le trône, l’orateur. Rien de cela ne se trouve dans les loges britanniques « anciennes ». C’est bien d’une loge française qu’il s’agit, qui ne diffère de celle du Régulateur que par la couleur des tentures et la position des surveillants. Si l’emplacement des trois chandeliers (des « lumières ») est omise par Vuillaume, les indications de Delaunay nous les montre aux angles NO, SO et SE.
D’où le schéma suivant :
Fig. 5 : Loge d’apprenti du REAA.
La disposition des lumières d’angle est celle du Rite Ecossais pré-révolutionnaire. Par contre, les surveillants sont disposés selon la mode « ancienne » et la situation des colonnes correspond à la distribution des mots des deux premiers grades.
Au grade de maître, Vuillaume décrit les neuf lumières « groupées par trois », à l’est, au sud et à l’ouest. L’habillement est un tablier doublé et bordé de rouge avec, au milieu, peintes ou brodées en rouge les lettres M.B. Le cordon est bleu moiré, avec au bas une rosette rouge à laquelle est attaché le bijou.
Comme de juste, les « secrets » à chaque grades sont ceux du Rite ancien.
Qu’avaient conservé, du Rite Ecossais d’avant 1804, les tenants du nouveau système ? Bien peu de choses : la disposition des chandeliers, la couleur rouge et l’acclamation Houzzé (ou Houzay). Par contre la disposition générale de la loge tenait à la fois de la tradition française et des usages britanniques.
Si c’était dans ce décor que se déroulaient les cérémonies prévues par les rituels d’origine du REAA, la conclusion s’impose : un rituel d’inspiration hybride, alliant le goût français du spectacle à la simplicité britannique, exécuté dans un décor relevant d’une triple influence. Tel était en définitive le REAA aux grades symboliques.
3.7. Clef de lecture.
Quatre critères essentiels (moderne, ancien, français, écossais) distinguent les rites pratiqués en langue française. Les critères « géographiques » (français et écossais) s’excluent mutuellement, de même que les critères de style (moderne et ancien). Les premiers se définissent par la disposition des chandeliers autour du tapis de la loge, le second par l’ordre des mots sacrés et les places des surveillants.
En référant aux figures 1 et 4, on constate qu’un Rite peut être :
- Français et moderne : c’est le cas du Rite Français et du Rite Suédois
Je l’ai vu. . - Ecossais et moderne : c’est le cas du Rite Ecossais Rectifié, du Rite Ecossais Philosophique et du Rite Moderne belge .
- Ecossais et ancien : c’est le cas du REAA, dans toutes ses versions successives.
- Il n’y a pas de Rite Français et ancien
Si ce n’est la construction très récente de René Guilly, intitulée « Rite Français rétabli » (devenu plus tard « Rite Français Traditionnel ») et pratiquée, en Belgique par certaines loges de la Grande Loge féminine. .
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