Les Auberges du coeur, dernier arrêt pour jeunes égarés


Chassés de chez eux à la suite d’un conflit familial, en fugue ou sortant des centres jeunesse, de nombreux adolescents et jeunes adultes se tournent vers les Auberges du coeur pour éviter la rue ou apprendre à devenir autonomes.



Zackary, 20 ans, dans les locaux du Squat Basse-Ville


© Renaud Philippe Le Devoir
Zackary, 20 ans, dans les locaux du Squat Basse-Ville

Après avoir fait une « grosse niaiserie », Éric (prénom fictif), 16 ans, s’est fait montrer la porte de la maison. « Mes parents ne savaient plus quoi faire avec moi », soupire le jeune homme devant une assiette de spaghettis à l’Auberge du cœur de Joliette, qui accueille les jeunes de 12 à 17 ans. « Ici, c’est comme un break, parce que chez moi, c’est l’enfer. On est neuf à la maison, ma chambre est dans un placard, et mes parents sont toujours sur mon dos parce que je suis le plus vieux. »

Vincent (prénom fictif), 17 ans, arrive de l’école juste à temps pour le souper. Il habite à l’Auberge depuis deux mois. « Ça a commencé brusque : mes parents m’ont donné le choix : ici ou la DPJ. »

L’adolescent a mis du temps à s’acclimater à la proximité et aux règles de l’établissement. Comme chacun des résidents, il doit suivre l’horaire établi et accomplir des tâches : mettre la table, faire la vaisselle, le lavage, etc. Mais aujourd’hui, il se sent mieux outillé pour affronter la vie : « J’ai appris beaucoup de choses ici, surtout la gestion de mes émotions et le partage. »

Après des mois de quasi-mutisme, il raconte aujourd’hui sa vie comme un torrent, parle de ses rêves et de la relation qu’il est en train de rebâtir avec sa mère.

Les intervenants donnent des « outils » aux jeunes, mais comme ils sont tous mineurs, le personnel travaille également avec leurs parents dans l’espoir qu’ils puissent retourner dans leur famille. Et c’est souvent « plus difficile » avec les parents qui ne collaborent pas toujours, se désole Mme Bélanger. « Dans certains cas, ils stationnent carrément leurs enfants ici et ne retournent jamais nos appels. »

 

Négocier la transition vers l’âge adulte

Certaines Auberges du cœur offrent également des appartements supervisés aux jeunes adultes. C’est le cas du Squat Basse-ville à Québec, qui dispose de dix-sept logements.

Gabriel Gagné y a passé une bonne partie de sa vie adulte avant de partir en appartement, il y a deux ans. Aujourd’hui, il aide les jeunes à son tour comme travailleur de rue chez l’organisme TRAIC Jeunesse.

Ses premiers séjours à l’auberge remontent à ses 13 ans. « J’allais là parce que je faisais des fugues des centres d’accueil. » Il profitait de sa liberté pour jouer de la musique et se rapprocher de la communauté punk qu’il considérait comme sa véritable famille et dormait quelques jours par semaine au Squat.

La possibilité d’avoir un logement au Squat à 18 ans a été providentielle pour lui, mais « ça a été un long processus quand même ». Après l’avoir expulsé parce qu’il avait saccagé son appartement, l’équipe du Squat lui a donné une « seconde chance » parce qu’il était vraiment prêt à apporter des changements dans sa vie.

« Gagner la confiance des jeunes quand ils arrivent, c’est compliqué », relève la directrice, Véronique Girard. « Ce n’est pas rare qu’on soit le vingtième ou le trentième intervenant dans leur vie. »

 

Zackary Fournier, 20 ans, ne manquait pas de méfiance quand il a débarqué au Squat, il y a deux ans. Habitué aux allers-retours entre la résidence de sa mère et de multiples familles d’accueil, il avait connu son lot de déceptions.

L’étudiant en cuisine était sur le point d’avoir 18 ans quand une intervenante de l’école lui a parlé de l’organisme au lendemain d’une grosse chicane avec sa mère. C’était ça ou un appartement hors de prix si petit qu’il n’y avait pas de place pour y poser un lit à une place.

Les appartements au Squat ont l’avantage d’être beaucoup plus abordables, fait-il remarquer (ils sont subventionnés pour que le locataire ne consacre pas plus de 25 % de son revenu à se loger). « Pis en plus, il y allait avoir des intervenantes », se rappelle-t-il en expliquant qu’il était moins prêt qu’il le croyait à vivre seul.

 

« Mieux que dans la rue »

Le scénario se répète à l’Auberge du cœur de Saint-Laurent, à Montréal. Une centaine de jeunes de 16 à 22 ans passent chaque année à la maison d’hébergement. C’est le cas de Julien, 19 ans, qui a atterri ici, il y a trois mois. « C’est mieux que la rue », lance d’emblée le jeune homme.

Après un énième conflit avec sa mère, le jeune homme s’est retrouvé à la rue l’été dernier. Il a vécu pendant quelques semaines dans sa voiture, essayant de trouver quelques heures de sommeil dans un stationnement anonyme et vivant de ses maigres économies. « Je ne dormais pas beaucoup, soupire-t-il. Je bougeais beaucoup pour ne pas pogner de tickets de la police. » Le jour, il se rendait tout de même à l’école et au travail, tentant de cacher son itinérance. Puis, un jour, quelqu’un lui a indiqué l’emplacement d’une halte chaleur où il pouvait manger gratuitement. De là, on l’a envoyé à l’Auberge du cœur.

Julien est heureux d’avoir trouvé une certaine stabilité. « Ça a été rock’n’roll toute ma vie », lance le jeune homme.

 

Nadia (prénom fictif), 20 ans, s’est elle aussi retrouvée à l’Auberge du cœur à la suite d’une situation familiale difficile : son père la frappait.

« Ici, je me sens en sécurité, affirme-t-elle d’une petite voix. Je dois me répéter souvent que tout va bien aller, que je suis OK. » Nadia est née au Québec, mais ses parents sont origi-naires du Moyen-Orient. « Ils ont transposé ici leur culture et leurs valeurs. On ne voyait que des gens avec ces mêmes valeurs. Je ne me sentais pas à l’aise et je ne pouvais jamais parler de mes sentiments : je n’avais pas le droit d’être triste. »

Des cas comme celui de Nadia, le directeur général de l’auberge, Sébastien Lanouette, en voit souvent. « Beaucoup de jeunes de l’immigration s’adaptent plus vite que leurs parents et ça crée un clash dans la famille. »

 

Sortis de centres jeunesse

À l’Auberge du cœur de Saint-Laurent, Le Devoir a rencontré des jeunes qui sortaient de séjours à l’hôpital psychiatrique pour des idées suicidaires, une adolescente qui devait quitter la maison « sans quoi [elle] se serait enlevé la vie » et une autre qui venait de terminer une thérapie en désintoxication. Il y avait aussi un jeune trans qui souhaitait refaire sa vie à Montréal, mais n’arrivait pas à trouver une place dans une ressource d’hébergement pour homme « pour des raisons de sécurité ».

Ils sont également nombreux à sortir directement des centres jeunesse. « On en voit beaucoup trop », se désole Mélissa McIntyre, intervenante à l’Auberge depuis neuf ans. « Ils ne devraient pas avoir besoin de se retrouver ici, ils devraient avoir la capacité de faire leur vie. Mais la réalité, ce n’est pas ça. Ils ne sont pas capables de faire une liste d’épicerie, mais ils peuvent décrire leur plan d’intervention avec de meilleurs mots que moi. »

Sébastien Lanouette abonde dans ce sens. Plusieurs des jeunes qu’il accueille dans le volet « appartements supervisés » sont incapables de se débrouiller seuls. « C’est incroyable à quel point ils ne savent pas ce qu’est la vie : aller chez le coiffeur, prendre un rendez-vous chez le dentiste. Ils ne savent même pas cuisiner ! L’organisme Moisson Montréal nous apporte des paniers, mais ils ne prennent pratiquement rien, même s’ils ont faim, parce qu’ils ne savent pas comment utiliser les aliments, si ce ne sont pas des plats surgelés avec des instructions dessus ! »

 

Manque de financement

Chaque année, plus de 3000 jeunes de 12 à 35 ans passent dans l’une des trente Auberges du cœur du Québec. Mais les listes d’attente sont tout aussi longues, déplore la directrice générale du Regroupement des Auberges du cœur, Paule Dalphond.

Et la situation ne s’améliore pas à quelques jours de Noël. Des dix places disponibles à l’Auberge du cœur de Saint-Laurent, seulement sept lits sont disponibles en raison d’un manque de personnel. « Alors que cette période est particulièrement difficile avec le froid de l’hiver, le manque criant de ressources vient ajouter un lourd sentiment d’abandon à ces jeunes qui ne savent déjà pas où se tourner », affirme Mme Dalphond.

Elle dénonce le manque de financement et le peu de reconnaissance du rôle que jouent ces organismes dans la prévention de l’itinérance chez les jeunes.

« On est souvent la solution avant le placement des mineurs », plaide Mme Dalphond, qui rappelle que les Auberges du cœur hébergent également ceux que la DPJ refuse de prendre. En plus de récupérer ceux qui en sortent pour les aider dans leur démarche d’autonomisation.

Comme l’expliquait Naël Lozeau, un jeune rencontré au Squat-St-Roch, les auberges sont comme un vélo électrique avec assistance. « Plus tu pédales, plus ça avance. »



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